Joel Meyerowitz à la maison européenne de la photographie
De ce pionnier de la couleur devenu photographe en croisant la route de Robert Frank par hasard, la Maison Européenne dresse une magistrale rétrospective, entre couleur et noir et blanc. Une dialectique passionnante amplement illustrée dans un parcours rare et sensible.
Joël Meyerowitz — Une rétrospective @ MEP, Maison européenne de la photographie from January 23 to April 7, 2013. Learn more De l’ombre à la lumière, Joel Meyerowitz passa avec grâce et fit de ses doutes intimes, histoire. Sa légende est bien connue. Enfant du Bronx, né dans les années 40, il travaille d’abord dans une agence de publicité. C’est lors d’une mission banale qu’il fait la rencontre de Robert Frank. Fasciné par la gestuelle dansée et la précision du travail de l’auteur des Américains, Meyerowitz a soudainement une révélation : il sera comme lui, photographe. Le destin se provoque, et s’accorde avec des actions. La suite est encore plus connue, il quittera son travail sur le champ pour commencer avec un modeste appareil que son patron avait eu la grâce de lui prêter avant de refermer la porte sur lui. Rarement aura-t-on eu autant l’impression de passer du particulier à l’universel, de l’intime au public qu’en regardant ses images. Ses questions personnelles devinrent progressivement des jalons de l’histoire de la photographie. En hésitant entre le noir et blanc et la couleur pendant de nombreuses années, il en écrivit sans le savoir d’essentiels passages.Le parcours montre de manière féconde cette dialectique sacrée. D’abord, à travers de somptueux tirages réalisés à Malaga où il saisit notamment, en couleur, un cheval et sa carriole accidentés. Puis une procession religieuse, cette fois, en noir et blanc. Lors de ce voyage européen, éminemment décisif dans
sa carrière, il oscille ainsi entre classicisme et modernité, jouant à injecter l’un dans l’autre, bousculant les codes avec une dextérité et une affolante poésie. La série de diptyques réalisée en Floride datant de 1967 caractérise encore plus cette hésitation et belle équivocité car elle offre comparaison. Une comparaison et différenciation idéale entre une même scène, l’une prise en noir et blanc, l’autre en couleur, intégrant d’ailleurs au passage une dimension narrative parfois très amusante, à l’image de cet homme tenant un poisson devant le coffre de sa voiture. En noir et blanc, celle-ci ne se justifie pas entièrement, alors qu’elle bascule grâce à la couleur dans un univers typé de l’Amérique du divertissement. Lui-même dit s’être rendu compte que la couleur procure plus de netteté à l’image, et « une plus grande palette d’émotions ». En optant définitivement pour celle-ci, il prit de l’avance à la façon d’un Paul Graham, à la recherche comme lui d’un langage photographique résolument nouveau.
Il faut aller de près creuser les images pour s’émouvoir de cette dualité passionnante. Il y a en elles en effet tout le débat entre les deux pratiques et à l’horizon l’enjeu de la reconnaissance moderne de la valeur esthétique de la couleur. Car cette lutte idéologique avait déjà eu lieu dès 1903 avec l’invention de l’autochrome par Louis Lumière. Dans ces tirages, transparaissent également tous les apports théoriques de John Szarkowski, alors chef du département photographique du MoMa pour qui seule la couleur sait être le garant de la fonction descriptive du médium. Il faudra attendre l’année 1976 pour que William Eggleston soit consacré par la modernité pour ses épreuves photographiques en couleur. Comme quoi, Meyerowitz en 1967 avait beaucoup d’avance et, de ses balbutiements et doutes, naquirent de prophétiques certitudes.