L’Âge atomique — Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
Le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris propose avec L’Âge atomique une exposition d’une densité extraordinaire dont la pertinence rappelle que derrière la catastrophe nucléaire se cache une cicatrice de notre histoire que le présent n’a en rien suturée.
« L’Âge atomique — Les artistes à l’épreuve de l’histoire », Musée d’Art Moderne de la ville de Paris du 11 octobre 2024 au 9 février 2025. En savoir plus À travers un parcours d’une richesse et d’une érudition remarquables parvenant à conjuguer chronologie et thématique (le propre des expositions aux problématiques intelligentes), L’Âge atomique déploie dans les couloirs du musée une polyphonie sensationnelle. On passe de l’invention formelle d’un futur à reconstruire aux expérimentations plastiques pour exprimer l’indicible d’un passé à recomposer.Reflet de ce passage unique dans l’histoire, l’art se voit traversé des inventions et intentions les plus singulières pour redonner vie à ce qui semble capable de l’annuler et les grands courants du XXe siècle entrent en une collusion dans des particules qui embrasse la démultiplication propre à ce temps de médiatisation des perspectives de bouts du monde ; Dali, Pollock, Sigmar Polke, Loie Fuller, Kandinsky, Duchamp, Asger Jorn, Barnett Newman, Wilfredo Lam, Laszlo Moholy-Nagy, Enrico Baj, Yves Klein, Nancy Spero, Barbara Kruger, Francis Bacon, Alberto Burri, Yoko Ono, Le Corbusier, Jim Shaw, Miriam Cahn, Luc Tuymans, On Kawara, Boris Mikhailov… La liste des légendes écrase par sa pesanteur. Et sa masculinité quasi exclusive, que vient contrebalancer une toute symbolique section Féminisme : écologie et anti-militarisme, n’ajoute pas plus d’unité au concert des passions, sinon cette volonté radicale de se singulariser.
Partout la même urgence d’un geste artistique, tentant d’assimiler dans son déploiement parfois bien antérieur les causes et conséquences d’un changement de paradigme scientifique. Quelle que soit la manière dont chacun l’envisage, ce mouvement d’appréhension, ces tentatives de penser la vision nouvelle de l’atome procèdent d’une même nécessité pour l’art de compter dorénavant sur le vertige de sa réduction à l’infime.
Une réinvention de la vanité dans cette quête d’un atome-soi à transmettre au monde dont le parcours de l’exposition traduit pourtant tout aussi bien sa lecture en trompe-l’œil, capable de produire des pièces artistiques devenues témoins objectives d’un réel qui ne se dit plus par les mots ou au contraire portées par une fascination sans limite et forcément questionnable sur la technologie, quand elle ne prend pas l’horreur elle-même pour le spectacle le plus grandiose. Autant de contre-histoires au sein d’une histoire de la confrontation des artistes à la leur qui déplie encore le champ des possibles de ce parcours décidément inattendu.
Ménageant peut être sa surprise finale dans une lecture à rebours de l’explosion. Se découvre en effet ici la trace presque tragique d’un fil directeur que chacun aura essayé de tirer, s’engageant sur le chemin inéluctable d’une transformation du regard sur l’homme en fascination pour un saut de l’humanité dans l’inconnu. Une nouvelle ère qui, à défaut d’apporter les réponses, rebat les cartes et redistribue les chances. Un piège qui renverse ainsi leurs coups de menton en coups de dés, rejouant dans l’illusion de s’emparer du sujet la tragédie de notre propre réduction inhérente à cette conquête.
Alors ce titre, L’Âge atomique, est celui aussi qui dit, face à la peur d’une nouvelle humanité peu embarrassée de sa valeur, le retour, comme pour se défendre, à son propre atome de société, une nucléarisation des rapports sociaux qui mène à la fermeture et conclut le plus grand danger de l’âge atomique, celui de voir réduire chacun à sa portion la plus congrue, sa survie.