La fusion des possibles — Topographie de l’art
L’espace Topographie de l’art présente La fusion des possibles, une exposition pensée par Dominique Moulon qui explore, à travers les œuvres de dix-huit artistes, la synthèse de l’innovation technique et l’invention de formes.
La fusion des possibles @ Topographie de l’art from April 15 to June 15, 2023. Learn more Déployant son champ de la perception sensorielle à la compréhension d’une dynamique immatérielle, l’exposition s’étend par sauts, nous menant d’expérience en expérience à la rencontre d’un inconnu. C’est la force de ce parcours que de souligner cette infinité du possible dès lors que science et imaginaire s’enclenchent et participent d’une nouvelle définition de l’esthétique. Car cette mise en spectacle de la technologie devient ici « prétexte » à la singularité de la forme de l’œuvre, le medium participant pleinement et ouvertement de la singularisation du motif.Par la rencontre, la fusion de champs de recherche et de champs d’action, les œuvres présentées orchestrent une danse régulière entre technologie et matière organique. Caroline Delieutraz s’empare de la mode ASMR consistant à enregistrer, face caméra, une succession de gestes produisant un son singulier pour l’appliquer aux œuvres d’art et en exploiter une physique sensible (Je te relaxe en touchant des œuvres, 2021). Albertine Meunier laisse l’intelligence artificielle générer des images orgiaques de repas ultrariches. Les éléments moteurs, frite et saucisse, structurent l’ensemble d’une composition dont les défauts techniques — limites inhérentes à ce type de logiciels — fondent les détails en un maelstrom organique (Les HyperChips). Marion Roche, elle, utilise les impressions 3D et 4D pour fabriquer une sculpture de bouquet de fleurs dont le mécanisme automatique participe de l’évolution dans le temps (Je viens de te voir en rêve, 2021) quand Samuel Bianchini élabore un dispositif dont les propres émanations de lumière d’un écran retourné dictent les mouvements d’un câble devenu membre organique (Snakable, 2020).
Une rencontre proprement humaine entre invention et mode d’existence qui évoque le rapport de l’homme à l’outil. Son utilisation ancestrale de l’invention technologique issue de la nécessité de sa subsistance se prolonge ici dans la dimension miroir de la technologie, influençant à son tour la perception. Elle impose alors un rapport détourné à la sensation, qui remet en cause les codes de la physique et passe par la médiation de notre propre système cognitif, à l’image de Marie Lelouche mettant en scène une sculpture qui retrouve son double dans le monde virtuel qui l’accompagne, nous éloignant par là du tangible pour nous autoriser à ne manipuler que l’avatar numérique (Out of Space — Pic Epeiche). Pascal Dombis construit des anti-portraits en mouvement où, coupés en leur centre, les visages se succèdent et se lisent comme une foule (I am not a robot, 2023). Jouant de la technique d’impression et du support, François Ronsiaux nous place devant un nuage et en propose une matérialité impossible que notre perception assimile pourtant avec aisance (The Cloud).
Enfin, un pont se crée entre immatérialité apparente et signification en détournant littéralement la perception par les sens avec notamment la projection de lumière de Peter Weibel sur le mot « Possible », inscrit à même le mur (Possible, 1969) ou Julien Maire, détournant la complexité technologique (ajout de LEDs au sein d’objets de rebut) pour en faire une respiration discrète qui sourd au cœur du monde inanimé (Artefacts, 2023). À l’opposé mais évoquant toujours cette simplicité essentielle, Nicolas Sassoon réinterprète la couture sur canevas traditionnelle devenue esthétique Pixel Art à travers une gravure laser sur aluminium représentant une plante aux allures de fiction extraterrestre (Plant, 2020). Un écho passionnant avec la reproduction en trois dimensions par Donatien Aubert de variétés de plantes immortalisées dans une observation scientifique elle-même en avance sur son temps (Disparues — bouquet, 2020).
L’art, lieu d’expérimentation, joue alors pleinement son rôle de bassin d’expérience et nous confronte ici à autant de possibles que, pour la plupart, nous ne touchons que de loin. L’œuvre devient alors le vecteur de compréhension voire même de « préhension » de cet autre qui s’expose pour précisément nous toucher. En préservant la diversité et en insistant sur l’invention continuelle de formes, La fusion des possibles dresse un panorama dont l’aspect hétéroclite fait précisément l’unité et trace dans la complexité croissante des usages technologies une diagonale possible permettant à chacun d’y cheminer à son rythme et d’y puiser surtout, à son tour, les fruits d’une réinvention possible, du regard comme de soi.