Liz Magor — Galerie Marcelle Alix
Présentée du 05 septembre au 26 octobre à la galerie Marcelle Alix, l’artiste canadienne Liz Magor (1948) développe un œuvre qui s’attache à repenser les liens qui nous unissent aux objets quotidiens, questionnant, à travers des installations souvent faites d’assemblages hétérodoxes, leur nature et notre perception.
Liz Magor — Xhilaration @ Marcelle Alix Gallery from September 5 to October 26, 2019. Learn more Sa précision et son attention du détail savent pourtant orchestrer, à travers un simple décalage, un geste à peine perceptible, l’éclatement de la belle harmonie pour inventer un système qui se nourrit de ses propres diffractions. Une richesse de sens et de portée qui n’est pas éloignée de la vie même de l’artiste, diplômée de la Vancouver School of Art en 1971 qui multiplie les projets jusqu’au début des années 1990 où la réception polémique de photographies réalisées vingt ans plus tôt l’accusant d’ « appropriationnisme » culturel (Field Work, 1989)1 va profondément infléchir sa manière de penser le rôle de ses œuvres et sa propre manière de s’ « approprier » le réel.L’espace lui-même qui accueille ses œuvres devient à son tour acteur dans ce théâtre de l’inframince ; par cette économie précisément, par l’apparent aléatoire du lexique de ses formes (pour l’essentiel des objets glanés), l’espace dépasse son rôle purement fonctionnel pour se démultiplier en autant de zones de possibles. Une cimaise devient la plage onirique d’un rêve de chimère, les mosaïques du carrelage au sol dessinent les volutes d’un océan accidenté sur lequel navigue une flotte de boîtes riches pleine de promesses.
Dans ce parcours c’est encore l’économie qui est à l’œuvre, économie de moyens, économie d’effusion pour un condensé d’émotions toujours aussi précieusement explosives. Car c’est à nos propres souvenirs, notre propre expérience qu’ils s’adressent en bousculant leurs matières, leurs apparences, leurs contextes et leurs fonctions jusqu’à remettre en cause leur familiarité, le souvenir de leur préhension même. Les boîtes mises en scène dans l’installation principale de l’exposition, celles-là même qui cachent normalement les paires de chaussures présentées ici dans le but de normaliser leur volume accidenté afin d’en faciliter le transport et le stockage, deviennent des cocons dédiés et singuliers, offrant à chacune un décorum qui les révèle. Papiers cadeaux festifs, pliages délicats de papiers fins entourent tous ces souliers aussi divers que sagement posés sur une longue table basse, elle-même recouverte de plusieurs ornements (parmi lesquels une tasse de café soigneusement remplie chaque jour). Reprenant pour celle-ci une présentation presque analogue aux étals de magasins, sa forte proximité au sol et sa gémellité avec les objets mêmes qu’elle accueille semblent plus témoigner de sa contamination par les objets qu’elle accueille.
Si dans l’exposition comme dans son œuvre plus généralement, la boîte se fait souvent socle accueillant le poids d’objets que cette rencontre rend profondément (et lascivement) sentimentaux, la délicate ambiguïté laisse dans l’installation principale place à une fantaisie immédiate. Une certaine euphorie pour reprendre le titre même de l’exposition Xhilaration dont le « E » initial, tronqué laisse ouverte l’interprétation. On s’aventurera, outre tous les possibles, à suivre le refus de l’extériorité, cette joie purement intérieure qui n’en est pas moins ouverte aux autres, visible à travers les couvercles transparents qui la protègent autant qu’ils la dévoilent.
Une fois de plus, Liz Magor utilise son art de l’assemblage, de la ténuité pour pénétrer les anfractuosités d’un réel donné qu’elle travestit non pas pour faire image mais micromonde, réseau de formes familières dont l’intense proximité paraît avoir noué des liens secrets qui nous perdent et déroutent les lignes balisées de la causalité. Car si entre ses mains, les objets sont autant de prétextes à narrations secrètes, chaque œuvre devient l’indice, le négatif par lequel s’invite une perception renouvelée de l’espace, elle-même nourrie fondamentalement par une méthode de production qui prend le temps à rebours. En assemblant des objets « finis », en recomposant des scènes qui n’ont jamais eu lieu, Liz Magor remonte un fil du temps qui s’invente à mesure qu’elle le déroule. Une manière de révéler et de donner à voir chacun des éléments pour ce qu’il est dès lors qu’il tombe sous le regard ; une somme infinie de ce qu’il peut être.
Un vertige qui, s’il n’a besoin d’aucun artifice du spectaculaire, emprunte les codes fondamentaux de l’ex-position pour atteindre une délicieuse et sourde euphorie.
1 Lire à ce sujet le témoignage de l’artiste http://lizmagor.macm.org/la-galerie/field-work/