Pauline Curnier Jardin & Marie Losier — Fondation d’Entreprise Ricard
La Fondation d’entreprise Ricard présente jusqu’au 29 juin une exposition audacieuse, bizarre qui, dans l’économie du mot, nous fait basculer dans un décorum d’affects et de codes où chacun se voit paradoxalement contraint d’expérimenter sa liberté.
Parties, sans éteindre la lumière — Pauline Curnier Jardin et Marie Losier @ Fondation d’entreprise Pernod Ricard from May 21 to June 29, 2019. Learn more Dans leurs œuvres respectifs, Pauline Curnier Jardin et Marie Losier ont en commun de déborder, presque organiquement, les médiums qu’elles abordent. De cette rencontre organisée sous la houlette d’Eric Mangion, directeur de la Villa Arson, c’est une exposition pleine de vie, presque mutante qui semble polliniser les espaces de la fondation Ricard. Autonome, apparaissant comme toujours actif et pourtant viscéralement accueillant, ce parcours déploie son piège pour mieux nous interroger dans un deuxième temps. Car dans cette absence de frontières, dans ce débordement constant des formats, des structures plastiques, c’est véritablement une place au spectateur qui est ménagée, un fragment de temporalité continu, répété mais jamais identique qu’il nous appartient de creuser, pour mieux nous y perdre.Il s’en passe partout, devant, derrière, dessus, dans et sur la scène. Ici il faut se baisser, là se tordre pour apercevoir dans les embouchures de vidéos ou tranches décorées de plaques de contreplaqué. Chaque mouvement devient part d’un spectacle éphémère et solitaire, pourtant bien mutualisable. L’onirisme n’a ni frontière ni date de péremption et nous berce ici d’un envoûtant mystère qui n’a rien de bénin.
Tout est support, tout est prétexte à invention et si le vide tient une grande importance, il creuse en négatif cette arène laissée à l’abandon. Tout fait sens aussi, du gâteau tarte-à-la-crème aux costumes abandonnés de sœurs artistes, du miroir déformant à la perruque sur son coffret, chaque élément devient un outil possible et plausible de spectacle à embrasser. On profite alors de ce décor comme une plongée dans la magie d’un passé qui aurait lesté ces objets de forces et de souvenirs. Sans éteindre la lumière donc, mais pas vraiment le temps.
Il faut ainsi accepter de refuser une temporalité univoque. Les matériaux simples laissent planer une forme d’absence au temps, les costumes des protagonistes rappellent que la fantaisie et la représentation ont traversé les siècles et constituent, dans leur aspect ludique, une force commune de partage et d’échanges, l’exposition nous charriant d’une tradition l’autre, dans l’ambiguïté d’un spectacle qui, lui aussi déborde son cadre. Car comme le laisse entendre son titre, Parties sans éteindre la lumière est conçue tel un spectacle passé ou à venir qui viendrait enchanter, dans un sens total, un public prêt à rêver à des jeux fantasques et fantastiques sans pour autant effacer la part d’ombre de la mise en jeu de soi.
Jeux de mots, jeux de formes et jeux d’apparence décousue s’unissent dans une expérience immersive qui s’adresse directement à l’imaginaire et dévoilent, à rebours de l’entrée des artistes, la piste désertée d’étoiles exténuées confiant leurs outils à d’autres. On se grime, on se déguise, on joue dans la perspective d’un acte, même aléatoire, pour faire vivre le spectacle, jusqu’à en perdre la vie, à l’image de la vidéo Teetotum de Pauline Curnier Jardin fait chavirer l’ambiance de l’exposition dans une inquiétante angoisse, un vide qui épuise et menace. Les protagonistes ont-ils alors abandonné leur scène de fatigue, de lassitude ? Le sombre écho de l’ambiguïté sourd en tous cas tout au long du parcours.
Si les deux artistes ne cachent pas la dimension ludique de leurs recherches, de leur montage et de l’agencement de jeux de dupes, c’est le regard du spectateur qui est plié, amené à observer les artifices que les numéros ne viennent plus activer. Le visiteur a tout le loisir de devenir voyeur, seul dans ce monde dont il peut à ses risques et périls s’emparer pour rêver au spectacle idéal, à la magie subjective d’un miroir aux alouettes qui ne serait plus lesté que de son simple reflet.
C’est ce tour de force que réussit ainsi l’exposition ambitieuse, loufoque, grave et burlesque de Pauline Curnier Jardin et Marie Losier qui, en modifiant les échelles, en alternant hospitalité et affirmation de l’étrangeté, parviennent à nous affubler, à notre tour du masque de la représentation qui nous intègre, nous protège autant qu’il nous manipule dans ce monde total qui nous a déjà digéré.