S’il y a lieu, je pars avec vous — Le BAL
Présentée du 11 septembre au 26 octobre, l’exposition « S’il y a lieu je pars avec vous » invite cinq artistes à proposer « un » regard sur l’autoroute. Si le thème est pour le moins audacieux, l’absence de cohérence entre les propositions dessine une exposition grande ouverte où les propos passionnants dépassent, semble-t-il, l’ambition initiale de glorification et côtoient la cruelle banalité.
« S’il y a lieu je pars avec vous », Le BAL du 11 septembre au 26 octobre 2014. En savoir plus Une autoroute est une aberration. Déserte, elle est un vertige. Tranchée au cœur des vallées, elle ravage le paysage et la terre tout en s’imposant comme un organe incontournable du déplacement contemporain, une valeur économique et un témoin de la richesse d’un pays. Aujourd’hui encore, la route reste une image de la victoire de l’homme sur sa terre, un enjeu principal qui, s’il facilite des liaisons, en exclut tout autant. Par essence donc, l’exposition présentée au BAL s’attaque à un sujet délicat qui, même hors de toute réflexion socio-anthropologique, demeure complexe. Comment, de cette mer grise de bitume a pu naître une poésie de la solitude ? Répondant à l’invitation du BAL, cinq artistes tentent d’en offrir un reflet au long d’un parcours très court qui, hormis la très belle mise en abîme initiale d’Alain Bublex et la série de Sophie Calle, laisse un sentiment amer et ambigu empêchant une réflexion d’ensemble autour de la problématique.Alain Bublex ouvre ainsi le parcours avec une série saisissante où les lignes de ses photographies se trouvent aplanies, modélisées à la manière d’un jeu vidéo minimaliste. Une normalisation, un filtre de pureté qui accentue, au final le drame de ces paysages éventrés par une terrible ligne de fuite. Béton, rails de sécurité, lignes blanches immaculées apparaissent comme autant de fantasmes d’une toute puissance de l’industrie. En mêlant photographie et retouche, Alain Bublex fait de l’autoroute un terrain de jeu pour homme absolutiste, glissant sur une utopie qui aurait contenu en elle-même les causes de sa destruction. En écho, ses fausses plantes collées en aplats ramènent à la cruelle réalité. L’autoroute, de même que son decorum, n’est qu’une imposition grégaire d’un monde artificiel d’hydrocarbures et de matières plastiques sur une terre qui se fait réceptacle apprivoisé de la vitesse. Un territoire parsemé d’aires où la communication se réduit à la consommation fonctionnelle de carburant pour les véhicules, de nourriture pour les corps qui les manœuvrent. Une « réalité virtuelle » dit l’artiste, de façon très juste ; un objet régi par ses propres lois, dans lequel on est toujours partout et nulle part (« sur l’autoroute »), ne peut exister autrement. Car précisément, sur l’autoroute, il n’y a jamais lieu, mais uniquement repères numériques (numéro de chaussée, repère numérique, numéro de sortie). Hors de tout didactisme et avec sa subtilité habituelle, Alain Bublex éveille une marée de sentiments graves et ludiques qui constituent, à n’en pas douter, le point d’orgue de cette exposition.
En face, Sophie Calle, comme à son habitude, s’introduit au sein du sujet et s’empare du seul mode de communication de l’autoroute, ses panneaux et autres signalisations exceptionnelles. Une manière d’explorer le pouvoir subjectif de ces panneaux, cet étrange sentiment d’une autoroute personnifiée, dont la voix nous parviendrait par signes, par messages émanant d’un cerveau complexe. Et si cette grande machine avait des sentiments, une sensibilité écrasée chaque jour par des centaines de milliers de tonnes, soumise au seul contact de la gomme des pneus ? Piratant ainsi le programme et diffusant ses propres messages sur les panneaux, compilant les images de vidéo-surveillance aux abords de la route, Sophie Calle en montre la réalité, une machine qui ne vit que par l’exclusion (barrières de sécurité, obstacles pour la faune locale) et la surveillance (péage, caméra vidéo). Ainsi ses Migrants (une série d’animaux capturés errant autour de l’autoroute) sont-ils repérés, observés ; ont-ils du mal à accomplir leur destin migratoire ou sont-ils forcés à la migration ?
En dehors de ces deux propositions, peu de véritable profondeur et même la série d’Antoine d’Agata peine à faire décoller le propos, emprisonnant l’autoroute à la seule question de l’artiste. Loin d’être un échec, cette prégnance du corps du voyageur paraît être une réponse symptomatique à la proposition du BAL. Plus que le piège inhérent à tout exercice imposé, c’est, semble-t-il une limite assez évidente du sujet ; l’autoroute, thème pour le moins artificiel, impose d’aller chercher en soi les manières d’y échapper.