Wolfgang Tillmans — Carré d’Art de Nîmes
Après tant d’années d’expositions, Wolfgang Tillmans reste toujours un pavé dans la mare de la photographie, se jouant des genres et faisant subtilement le liant entre deux univers qu’on distingue encore et dont les rapports sont trop chastes : l’art contemporain et la photographie. Moment de vérité au Carré d’Art de Nîmes avec la grande exposition Qu’est-ce qui est différent ?
Wolfgang Tillmans a une approche sensible de la photographie ; une approche qui prend l’apparence étrange, pour celui qui découvre son travail, d’une oscillation plastique déconcertante et agréablement disparate. Voilà un relâchement hétérogène très bienvenu, surtout non loin de la 49e édition des Rencontres de la Photographie d’Arles. Car Wolfgang Tillmans bâtit un système iconographique de la discontinuité. Chaque exposition est pensée comme une installation et cette proposition curatée par le directeur du Carré d’Art, Jean-Marc Prevost, est encore une fois la preuve en espace que la combinaison sensible d’images diverses constitue une des marques de fabrique de l’artiste.
Dans une non-hiérarchie revendiquée, l’artiste dépoussière encore le monde de la photographie, comme l’écrivait justement le journaliste Clément Ghys à propos de ses deux expositions concomitantes à la Fondation Beyeler de Bâle et à la Tate Modern de Londres en 2017. À Nîmes, un atlas de formes photographiques cohabitent avec des vidéos et une installation sonore. Comme dans un Salon du XIXe siècle, les formats et les registres d’image diffèrent et foisonnent mais pas seulement : les époques, les techniques d’impression et les accrochages se mélangent et se répondent. C’est ainsi que Wolfgang Tillmans, dans un équilibre entre opulence et minimalisme, dresse son portrait du monde et dessine une cartographie schizophrénique de la pratique photographique. Ainsi, de la figuration à l’abstraction, en passant par des registres facilement identifiables — le portrait, le paysage, la nature morte — Tillmans propose une expérience collective et sûrement fédératrice de l’image. Il continue à creuser le sillage d’une photographie décloisonnée en amenant dans l’espace l’image froide et numérique — celle qu’on consomme presque aveuglement tous les jours —, la photocopie, le scan, des coupures de presse, les détails ultra léchés d’une feuille de papier pliée (un fétichisme qui évoque le travail de Patrick Tosani), le tout dans un ensemble de formats qui font voler notre regard en éclat.
Derrière le nom un peu trop crypté de cette exposition, un travail entamé il y a deux ans, aujourd’hui disséminé dans les 9 salles du dernier étage du musée avec un ensemble d’œuvres dont certaines ont plus de trente ans. À l’origine de cette énigmatique question, la notion de backfire effect (« effet de rebond » ou « retour de flamme »), phénomène psychologique caractérisant le fait de rester persuadé d’avoir raison alors que des preuves prouvent le contraire. Ce comportement, évoquant inéluctablement le phénomène proliférant de fake news, est pour l’artiste à la source de cette interrogation du « qu’est ce qui a changé » en quelques années.
Ce basculement et cette attitude de croyances absurdes portée par internet, Wolfgang Tillmans les matérialise par des scans de textes théoriques avec une machine défectueuse. Cette manipulation de l’image-texte — qui prend ici la forme d’une restitution déformée et approximative ou tout simplement incertaine — porte le propos de Tillmans et son engagement politique sur l’information.
Wolfgang Tillmans, Qu’est-ce qui est différent ? — Carré d’Art de Nîmes, place de la Maison Carrée, 30000 Nîmes, jusqu’au 16 septembre 2018, du mardi au au dimanche de 10h à 18h — Tel : 04 66 76 35 70