Yayoi Kusama
C’est la première rétrospective en France consacrée à Yayoi Kusama. La première fois certainement aussi qu’il est permis de regarder plus loin que les pois d’une enfance perdue, royaume du rond et du bon à jamais enfoui. Car on a longtemps associé Kusama à son univers rose, régressif fait de ballons gonflés de nostalgie. À une forme de naïveté également d’une artiste qui n’avait pas peur de dire « Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d’autres pois… ». Mais c’était manquer l’essentiel, l’obsession
grise, la noirceur de sa maladie mentale qui a rendu possible son œuvre né gangréné dans le Japon des années 40. L’histoire veut qu’attablée en famille, elle ait fixé les fleurs rouge vif de la nappe et subi un choc visuel qui jamais ne la quitta. Les taches de couleurs se multiplièrent sur elle-même, sur le sol, sur le plafond. Comme un sort jeté, Kusama verra ce motif toute sa vie se répéter à l’infini 1. Une prison en pointillés. Torture qui la mènera jusqu’à l’hôpital psychiatrique de Tokyo où elle a décidé de vivre depuis 1977.
Mais il y aura toujours des enfants pour se jeter sur ses ballons. On entend encore les rires sous la verrière de la Grande Halle de la Villette, face à l’installation Dots Obsession (2008), boules monumentales roses à pois noirs. Le public encore trop jeune aura peut-être grandi et saura regarder ici Heart (2007), une toile où les cellules noires grouillent pour filer jusqu’au néant.
1 « Un jour, après avoir vu, sur la table, la nappe au motif de fleurettes rouges, j’ai porté mon regard vers le plafond. Là, partout, sur la surface de la vitre comme sur celle de la poutre, s’étendaient les formes des fleurettes rouges. Toute la pièce, tout mon corps, tout l’univers en seront pleins ; moi-même je m’acheminerai vers l’autoanéantissement » Yayoi Kusama.