
Bérénice Mayaux — En questions
Issue du design et nourrie de multiples influences, Bérénice Mayaux (1981) développe un langage pictural abstrait qui déploie des formes rêvées marquées par les contrastes et les dégradés. Par la densité de la couleur, par la répétition des perspectives, elle explore les motifs et déconstruit la matière pour nous projeter au cœur de vortex à l’immobilité en trompe-l’oeil. S’ils semblent laisser tout signe d’humanité hors-jeu, ses paysages paraissent pourtant prêts à engloutir dans leurs spasmes, nées des vibrations chromatiques, nos propres corps. Elle explicite pour nous les mécaniques et les aspirations de son processus de création.
Comment êtes-vous arrivée à l’art et quel a été votre parcours jusqu’ici ?
J’ai commencé à peindre il y a une dizaine d’années. Après avoir obtenu un diplôme en Design aux Beaux-Arts de Reims, j’ai participé à divers projets, tels que la création graphique de livres d’artiste et la conception d’espace 3D pour différents lieux d’exposition, tout en poursuivant mes recherches sur le design de mobilier. J’ai ensuite fait une parenthèse en me tournant vers le design floral et j’ai travaillé pendant un certain temps dans l’événementiel en tant que fleuriste. De manière presque naturelle, bien que non prévue, la peinture m’a finalement permis de rassembler toutes ces recherches et de donner forme à mon univers créatif.
Comment définiriez-vous votre pratique ?
Je pourrais définir ma pratique comme de l’abstraction géométrique, bien sûr, mais également déconstructiviste. J’élabore des architectures et des espaces que je m’apprête ensuite à perturber et déconstruire en jouant sur les perspectives spatiales et chromatiques. Ce processus me permet de créer des compositions dont l’équilibre fragile et les vibrations coloristiques traduisent une réalité plus complexe et chaotique.
S’agit-il pour vous de vous inscrire en rupture avec une histoire (de l’art des formes, des idées) ou dans la continuation d’une tradition ?
En tant que peintre, je suis inévitablement ancrée dans un contexte historique et une histoire de l’art qui influencent ma vision et mon travail. L’art est un continuum, et chaque nouvelle création s’inscrit dans une histoire plus large, même si elle cherche à la questionner ou à la réinventer.
Des figures de la création ou de la pensée continuent-elles de vous nourrir ?
Dans un film, j’ai entendu une phrase qui m’a profondément marquée : « Il n’y a pas d’inspiration, seulement de la fermentation. » Cette idée résonne en moi avec une force particulière, car elle évoque le processus complexe par lequel naissent les idées et les créations. Contrairement à une notion romantique de l’inspiration comme un éclair de génie soudain, cette formulation souligne l’importance de la maturation, du temps et de l’accumulation de connaissances. Pour moi, cet état de fermentation est essentiel. Les sciences, l’architecture et l’art ne sont pas des domaines isolés ; ils interagissent et se nourrissent mutuellement. Chacun de ces domaines alimente mon processus créatif. Mon travail est donc le résultat d’une fermentation continue d’idées, de formes et de concepts.
Quel impact cherchez-vous à provoquer sur le spectateur ?
Plutôt que de guider le regard du spectateur vers un point focal harmonieux, je joue avec la dissonance visuelle, multipliant les perspectives et les points de vue, provoquant une tension visuelle. J’invite le spectateur à engager une interaction plus active avec l’œuvre, encourageant une lecture multiple et subjective. Mes peintures ne donnent pas de réponses, mais tentent de susciter des questions et des réflexions sur la perception, la forme et le sens.
Donnez-vous toutes les clés de compréhension ou ménagez-vous des zones d’indétermination dans votre œuvre ?
Je ne propose pas de clés de compréhension explicites dans mes œuvres, probablement parce que je ne les possède pas toujours moi-même. Mon processus créatif est souvent intuitif et instinctif, ce qui rend difficile la formulation de significations précises. Cependant, certaines formes que j’utilise peuvent sembler familières et apparaître comme des indices de lecture. Mes peintures sont des invitations à embrasser le désordre, le fragile et le complexe, tout en offrant la liberté d’interprétation au spectateur.
La pratique de l’exposition a-t-elle modifié votre manière de travailler ?
Avant même de penser à me lancer dans la peinture, j’ai eu l’opportunité de participer à de nombreux accrochages dans des musées, des centres d’art et des galeries. Cette expérience a certainement contribué à « éduquer mon œil » de manière significative. Je suis convaincue que le travail de composition d’un tableau fait appel aux mêmes compétences que l’accrochage d’une exposition : créer du rythme, équilibrer ou confronter les formes, les volumes et les couleurs. C’est un aspect de la pratique artistique que j’apprécie beaucoup. Bien qu’il ne modifie pas ma manière de travailler, il l’enrichit indéniablement.