
explicite lyrique — Galerie Marcelle Alix
Comme déposées au sein de l’espace par touches, par humeurs et résonnances secrètes, les œuvres de l’exposition collective explicite lyrique à la galerie Marcelle Alix traduisent la rencontre de regards engagés et subtilement espiègles — pour ne pas dire discrètement mais radicalement révolutionnaires — sur la création contemporaine.
Celui de la galerie Marcelle Alix qui l’accueille et celui de la galerie Air de Paris, invitée à célébrer les 15 ans de la première. Un anniversaire en forme de partage qui laisse libre cours à une sélection libre d’artistes, rapportant fragments d’histoires et boutures de sensations au long d’un parcours qui se lit comme un herbier d’affects.
« explicite lyrique », Galerie Marcelle Alix du 9 janvier au 15 mars. En savoir plus Dans tout sens et en tout endroit, la scénographie organise la prolifération d’œuvres qui, pour chacune d’entre elles, questionne la raison de sa forme autant que le statut de son existence en tant que « représentation ». Mêlant volontairement espaces de travail, de passage et de monstration, explicite lyrique témoigne de l’engagement des galeristes de Marcelle Alix et Air de Paris auprès d’un art qui rythme leur vie, d’une vie qui, de même que celles des artistes qu’elles accompagnent, ne s’en dissocie jamais. Une position qui se voit doublée ici de l’immixtion de nouveaux corpus d’œuvres qui en dit long sur l’enjeu de leur ouverture ; montrer l’art engage. Engage le corps et engage le temps, engage l’espace car il s’agit d’abord d’un art de rencontre, une capacité à entendre, à recevoir et à « comprendre » la démarche « expressive » d’un autre pour s’y projeter et l’accompagner. C’est le réel qui se pare d’une saveur inédite, une aptitude à guider la perception hors de sa commune mesure.Tout y est donné, « explicite », tout y est à prendre, rien n’est secret d’autre que le rapport que l’on peut s’inventer face à elles. Le minimalisme, la simplicité ne cachent aucune vérité achevée dominant a posteriori le rapport que chaque visiteur peut se forger ; en revanche libre à chacun de s’abandonner à cette rencontre. À travers le jeu de mot reprenant le célèbre logo émis par la normative Recording Industry Association of America indiquant la présence de paroles « crues abordant la violence le sexe ou la consommation de drogues » devenu par la suite argument publicitaire dans la culture populaire, l’exposition joue des variations autour de la sexualité et de l’ambivalence de sa promesse d’exposition.
La frontalité d’Anne-Lise Coste, apposant en lettres humides les mots crus sur les cimaises ouvre le bal de superbes pièces « phallophages » tout aussi « explicites » de Zohreh Zavareh, sexes auto-engloutis à la surface appelant au toucher. Tout aussi délirant de son désir, l’engin de Lou Fauroux trône, indéfini, au mur, entre trophée d’une rencontre épique et découpe biomécanique d’un corps à inventer, les histoires possibles se déclinent à l’infini. Et se racontent sans imposer la voie de leur entente, incidemment, à travers la forêt de micros outrageusement parés de leurs perles dorées dans l’installation de Pauline Boudry & Renate Lorenz par exemple ou au creux des maquettes de Sarah Tritz où les scènes de théâtre reflètent le nouvel espace de représentation que constitue l’écran, autre scène dont l’envers n’est que notre reflet. La sexualité est une revendication sociale. Sa pudeur aussi.
On cache les corps réifiés des périodiques graveleux chez Jean-Charles de Quillacq pour ne laisser apparaître, de manière désordonnée, des sourires de commande dont la fonction est brouillée. Les éléments s’emboitent et se recouvrent chez Georges Juliette Ayrault & Louis Chaumier avec une minutie délicate, délimitant l’espace et la scène de manière presque effacée, quand le chant de la parade amoureuse se perd, lui, dans une chambre d’échos indéfinis, émanant d’un émetteur anonyme, le lecteur cassette de Romain Grateau. Dans les traits d’encre emmêlés des magnifiques dessins de Dorothy Iannone également, tourbillons de sentiments que sa plume souligne ou perd au creux de silhouettes enchâssées. Souvenirs personnels qui nous invitent dans des intimités qui s’inventent et se donnent en partage, telle la collection de Pierre Creton, où comme dans le gant de protection surmonté d’anneaux de castration de Gyan Panchal, l’organique rejoint le symbolique. Ses images découpées sont indissociables du poil pubien qui les jouxte. Potache ou inquiétant, organique et férocement frontal, la trouble attirance est constitutive également des sculptures de Bruno Pelassy où le gant, la main, se referment autour de ce qui ne peut, sans friction, l’embrasser.
À contre-pied de la thèse ou du manifeste, sexe, plaisir, désir et affects naviguent en électrons libres au gré de leur propre volonté. La question semble être ici plus porter sur notre regard face à ces fabrications que sur la forme même, à la lisibilité aléatoire. Rien ne se confond avec l’attendu ; intime et personnel affleurent de certains travaux mais n’imposent aucune posture, n’appellent aucune prise de position. La sexualité est un prétexte, un dit antérieur tout aussi omnipotent que capable d’effacement. Renvoyé à la seule mise en forme de l’expérience par l’imaginaire, le visiteur se plonge ou non sur la part historique du propos des œuvres, mais est appelé, on s’en aperçoit rapidement, à naviguer à travers les références par abstraction et sauts dans le vide.
Les « lyrics » devenues lyriques, la parole devient parure sur un contenu de sens qui déborde les mots et rend compte autant de l’effet que de l’investissement de l’artiste dans sa production. Quoi de l’objet ou de la pratique, de la technique est au centre de l’attention ? L’invisible, cette décision polycéphale d’exposer une œuvre devient le lien solide qui continue à lier tous ces mondes, la création, la galerie, le visiteur, le souvenir. L’œuvre tient alors de l’expérience, l’exposition toujours un anniversaire, une célébration de cette relation multipolaire qui, en un objet à donner ou recevoir, tient autour de lui le réseau de forces vives d’imaginaires ouverts à l’autre.
En abordant directement la somme des investissement personnels, en investissant même le hasard des rencontres comme nécessités de poursuites, explicite lyrique nous place face à une somme de propositions qui sont autant de résultats d’expériences secrètes, de l’alchimie d’une histoire, celle de la galerie, qui s’écrit à la l’ombre de ce qu’on en voit. Chaque élément, du visible à l’invisible, construit le passage vers la cime personnelle, intime, directe et libre de chacun de ses acteurs où la sensibilité immédiate répond à la possibilité d’une vie d’ininterrompu sensationnel, celle de l’art, à faire, à rendre, à voir.