Charlotte Charbonnel, Edouard Wolton — Aquarium de Paris
Du souffle des abysses aux crépitements cosmiques, Charlotte Charbonnel et Edouard Wolton investissent l’Aquarium de Paris jusqu’au 12 juillet d’œuvres sidérales et sidérantes qui tendent un miroir vibrant à cette vie qui gravite au fond des eaux.
Comme des miroirs tendus aux multiples vues d’aquarium qui les précèdent, les séries présentées répondent toutes, à leur manière, à la dynamique éthérée des mouvements d’espèces aquatiques aussi diverses et complexes qu’enveloppantes. Dans la pénombre et les jeux de lumière, la fixité du corps des regardeurs ne fige en rien sa perception ; de même les pigments, pixels, matières et surfaces de leurs œuvres se drapent des altérations de leur environnement.
La peinture d’Edouard Wolton, fondamentalement tournée vers les frontières de la perception, trouve ici une caisse de résonance qui la libère et met en jeu la distance habituelle de ses sujets en les plongeant au plus près des abysses.
Charlotte Charbonnel, elle, invente les formes et repense les conditions de monstration de ses installations sculpturales et sonores en les immergeant dans les bassins ou, au contraire, en déversant hors de ceux-ci les flots d’une mer en mouvement, piégeant le spectateur au cœur d’un cercle sonore ou au milieu d’une vision kaléidoscopale saisissante d’un bassin monumental.
Une complémentarité finement pensée et mise en scène par les artistes qui trouvent, dans leurs collaborations directes, la synthèse réjouissante de leurs deux procédés ; dans la série de gravures à quatre mains d’abord qui, tendue à la rencontre d’un bassin, absorbe et rend la lumière avec une intrigante singularité. L’argent de la surface fait vibrer les transparences et brouille la superposition d’images pour offrir des labyrinthes de formes qui engagent le regard à un déplacement qui révèle la nature possible de motifs dévoilés par le mouvement. Dans la vidéo monumentale ensuite, où le ballet de méduses devient prétexte à une multitude de composition aux intensités lumineuses évanescentes, structurant des tableaux en mouvement où les particules de matière trouent la surface et vident l’obscurité de la matérialité aquatique pour fabriquer, progressivement, un paysage aux allures cosmiques qui embrasse la verticale sidérante de plusieurs mètres de hauteur.
Reflet des progrès de la science, des avancées de leurs modes d’observation et des problématiques modernes de notre rapport au milieu sous-marin, ils rendent à eux deux lisibles et concevables les propriétés photoluminescentes d’espèces que nos yeux ne sauraient voir et font vivre dans l’espace les rêves qu’elles alimentent. Jouant par touches avec les ambiguïtés de la perception, laissant malicieusement émerger des figures extraterrestres des béances les plus profondes de la terre ou empruntant incidemment au vocabulaire esthétique de la science-fiction des formes mécaniques rétro-futuristes, la peinture de Wolton conjugue les espaces, lieux et registres dans une symphonie picturale à la grandiloquence maîtrisée et pleine de sens. C’est précisément de l’union des valeurs maximales, du plein au vide, de la lumière à l’obscurité tangible, du plus lointain à l’infiniment proche que naît la force de ses toiles, usant de l’artifice pour mieux mettre en valeur la surréalité du visible.
Se joue alors une symphonie de lumière qui, écho silencieux aux astres vibrants dans les bassins de Charbonnel, dépasse (ou embrasse essentiellement) la notion de vibration. Un vertige qui fait s’unir, dans ce cri impossible de l’océan, l’uminari qui donne son titre à l’exposition, la complexité de la notion du temps qui, loin d’être en suspens, irrigue la nature des œuvres que Charlotte Charbonnel et Edouard Wolton présentent, ancrées dans les rêves de futur, la prégnance de l’immémorialité et les possibles du présent.
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