Charlotte Charbonnel — Le Creux de l’enfer, Thiers
Charlotte Charbonnel s’imprègne de l’énergie des lieux dans lesquels elle est invitée à exposer. Elle fait ressortir leur mémoire et les différentes histoires qu’elle recueille.
Dans son travail artistique, elle tisse des liens entre le champ de la science, des espaces géologiques, l’architecture, son ressenti et les histoires qu’elle recueille en explorant des territoires. Tout artiste qui est invité à se confronter à l’espace du Creux de l’Enfer ne peut rester indemne tant ce site est marqué par son implantation dans la roche. Ancienne coutellerie, le centre d’art a gardé les traces architecturales de précédents usages. Des parties d’un rocher ressortent et contrastent avec les murs blancs. Espace d’exposition et environnement d’une grande puissance s’interpénètrent dans ce centre d’art contemporain en milieu rural.
L’artiste plasticienne s’est saisie de l’emprise de la nature sur l’architecture et s’est nourrie de lectures sur les volcans d’Auvergne (elle a découvert la notion de « Larmes de la terre » pour qualifier la lave dans le Guide de la France mystérieuse) pour construire son exposition, centrée sur l’eau, la terre et le feu, trois éléments de la physique naturelle de l’histoire du Creux de l’enfer. La verticalité du centre d’art sur deux plateaux l’amène à créer un écho avec la cheminée du volcan. Elle propose alors une traversée progressive, un voyage à la découverte des curiosités géologiques, des merveilles de la nature ainsi que du volcanisme, phénomène qui n’a pas fini de nous étonner et de nous intriguer.
Paralava, une installation composée de lave à partir de pouzzolane prélevée sur les pentes des volcans, (réalisée en collaboration avec le Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand) nous invite dans un premier voyage temporel. Nous prenons alors la posture de chercheurs, géologues, enquêteurs en explorant l’espace métamorphosé par ses magmas proliférant de matières noires et grises. Ses Molybdomancies, scories de bronze et d’aluminium jetés à chaud, saisis et sculptés par l’eau vive de la Durolle attirent notre regard par endroit. Leur éclat ponctue le paysage volcanique sombre, trace d’un phénomène naturel qui aurait percé les murs. Les échelles temporelles semblent suspendues dans cette exposition où les œuvres in situ résonnent parfaitement avec l’architecture et l’environnement.
Son film Les larmes de la terre (prélude) montre un défilement d’images, d’écoulement, de liquéfaction, fascinantes transformations des matières naturelles et pourtant quelque peu effrayantes. Merveilles de la nature, les volcans suscitent aussi la crainte des bouleversements qu’ils peuvent provoquer sur des sites. Cette vidéo à l’échelle du mur nous indique le chemin pour aborder au plus près d’autres matières. À l’étage, d’autres indices d’un territoire volcanique témoignent des différentes ressources naturelles du paysage grandiose. Charlotte Charbonnel met au jour des éléments peu perceptibles à l’œil nu, unissant l’art, la science, les techniques et les savoir-faire locaux.
À Thiers, durant une résidence d’artiste à la coutellerie Claude Dozorme, elle a créé des flèches en acier damassé à partir des chutes de l’entreprise. En 2019, elle présente Nucleus pour la première fois dans la grotte du centre d’art. Ces éléments étaient insérés dans la roche, métaphore d’un animal naturalisé, et des gouttes d’eau tombaient au fur et à mesure. Le rocher semblait alors être en état de fragilisation. L’œuvre paraissait autant organique que minérale. Elle compose alors pour cette nouvelle exposition, Nucleus (variation) une installation à partir des mêmes éléments, qui ici mesurent l’espace de bas en haut. Plusieurs flèches constituent un nouvel élément architectural, témoin d’une pratique artisanale qui fait vivre la ville depuis de nombreuses années. Plus loin, Fulgur 2, une révélation progressive d’une lame damassée constitue « une ligne temporelle » pour l’artiste.
Les matières qui composent le paysage exploré au début de l’exposition sont analysées, vues de près dans une série de lames présentant des échantillons de pouzzolane brute. L’artiste, suite aux échanges avec des spécialistes du volcanisme, fait apparaître des dessins, empreintes de formes devenues précieuses. La force de gravité se révèle en parcourant l’espace. Charlotte Charbonnel l’investit du sol jusqu’au plafond faisant résonner la puissance géologique dans ce lieu où ses œuvres s’inscrivent. Une atmosphère sonore ponctuée de grondements de la terre complète les sons du cours d’eau dont la présence nous frappe dès notre arrivée. On entre progressivement au cœur de la matière. Des rayons de lumière passent à travers des panneaux métalliques et produisent des jeux d’ombres, comme si nous étions dans une cavité, à chercher les sources lumineuses.
Sa vidéo Les larmes de la terre nous emmène à l’intérieur d’un phénomène qui nous dépasse. Nous nous sentons alors si petits en contemplant des plans, cadrages sur des cendres, des écoulements de poussières… Nous avons en tête des images de volcans en éruption qui dévastent des territoires. L’artiste privilégie la poésie de la matière et de la lumière, laissant place au mystère, à ce qui reste caché. Une seule couleur se perçoit dans l’exposition, le rouge orangé, mémoire de cette fusion qui marque notre esprit : couleur également liée au feu, élément qui sert au travail de l’acier, un des matériaux des œuvres qui s’inscrivent subtilement dans l’espace d’exposition.
L’artiste poursuit son intérêt pour les micro-phénomènes en créant une projection d’une vie macroscopique de cendres. Celle-ci se révèle aux plus curieux et attentifs, sur une pierre de lave de Volvic. Dans ses Aérolithes, sculptures disposées à différentes hauteurs, elle capture dans des arches d’acier des pierres volcaniques dans leur envol. Une porte s’ouvre alors vers le ciel, le cosmos. Une poussée de matières en mouvement provoque des éclats qui se dispersent. Telles sont les images qui surviennent en prenant le temps d’observer chaque élément naturel travaillé par l’homme.
Différentes coupes de roches se donnent à voir et suscitent à la fois notre interrogation et notre imaginaire. Les éléments du volcanisme sont vus sous différentes facettes, déployés dans l’espace comme pour ouvrir divers champs de réflexion et attirer notre regard sur ce qui les caractérise et en fait des objets de curiosités. L’artiste, en menant son enquête, rend visible l’invisible, le poumon de la Terre. Elle mesure les tensions qui se donnent à voir. La vie des matières prend le pas sur le bâtiment qui s’impose à nous tandis que ses vidéos nous invitent à lire autrement ses installations in situ.
Le Creux de l’Enfer constitue ainsi le lieu idéal dans lequel Charlotte Charbonnel a cristallisé de nombreuses recherches et explorations plastiques déjà en cours. Son exposition nous invite à explorer une architecture d’une grande puissance physique, chaque œuvre nous plongeant dans un paysage lointain des temps anciens.
Exposition Charlotte Charbonnel, Larmes de la terre, Le Creux de l’Enfer, du 12 juin au 26 septembre 2021