Contained Energy — Villa Belleville
Autour d’œuvres d’artistes émergents, Contained Energy à la Villa Belleville explore les notions de statuaire et d’architecture en voulant faire résistance aux prophéties de fin de l’histoire. Premier volet d’un cycle d’expositions autour de la pierre, cette présentation est l’occasion d’une réflexion profonde autour du sens de la création.
En plongeant ses racines dans la statuaire, la mythologie et la pensée, Contained Energy explore ce désir d’histoire qui résiste aux tentations de l’aplanissement relativiste sans succomber au fantasme d’une hiérarchisation esthétique. C’est précisément à travers la pratique de l’inframince, à travers les recherches humbles et les formes modestes, qu’elle soulève la prégnance de lignes directrices qui unissent créateurs, créatures et spectateurs dans un réseau de sens que la communauté contribue à faire vivre. Ici, les cimaises mobiles laissent entrevoir les matériaux d’ateliers collectifs, la cuisine partagée fait lieu de vestibule face auquel se dressent les premières pièces. Là, le sol, portant les stigmates de toutes ses vies antérieures, répond aux lignes horizontales des cadres de photographies. La pierre, matière première d’une histoire de l’érection et de la fabrication, témoin crucial portant les traces de la destruction et de la transformation devient ainsi le motif plastique d’imaginaires qui en satellisent l’histoire pour en offrir un portrait aux ramifications multiples.
De ces variations intuitives, conceptuelles et formelles émerge une plasticité de la pierre qui évoque une figure impossible, le cercle de la pierre, figure chimérique de la gravité sensible ramenée à l’utopie géométrique. L’affect devient, à travers les œuvres présentées, la poésie cosmique qui permet de le faire exister et ouvre ainsi une dialectique de la pierre qui réinvente, dans un présent bien marqué, son histoire.
La roche se voit ainsi suspendue, allégorie « bondage » en lévitation que des cordes retiennent autant qu’elles la recouvrent (Ronan Masson), entée dans des planches de bois quelconque pour élaborer une variation de l’ornementation traditionnel, glissant dans cette rencontre de l’organique et du minéral les germes d’une complémentarité, voire d’une gémellité tant les nervures de la pierre font d’abord illusion (Guillaume Linard-Osorio). Elle sert également de modèle, photographiée avec une précision scientifique dans un noir et blanc saisissant et dont la précieuse présentation, accompagnée de gants nécessaires à leur découverte amène une sensualité concrète (Isabelle Giovacchini), elle s’intègre enfin dans un imaginaire romantique et alchimique réjouissant, alliant la géométrie à la science de la perception pour, in fine, redéfinir à son tour le support de sa monstration (Coraline de Chiara). Cette lecture collective inattendue des possibles de la pierre révèle des échos d’une stratégie possible en contradiction avec l’érotisme traditionnel et inventant sa propre langue du désir. Ici le froid, le dur, le coupant, le lourd, le cassant et le grave sont autant d’attributs à une relecture de l’histoire de la sensualité, une proximité sourde de nos corps avec le minéral qui dépasse la contradiction initiale d’un dialogue possible.
Les œuvres, de concert, participent d’un récit qui, s’il s’éloigne des schèmes de la logique traditionnelle, porte en lui une nécessité tout aussi percutante qui lui octroie une raison d’être vivace qui se perpétue à l’insu de la seule rationalité. Une véritable audace qui fait des œuvres les véritables maîtres d’une scénographie qui se mue en mise en scène, une esquisse à nouveaux frais du désir qui remet au jour ce lien « invisibilisé », l’archéologie d’une statuaire proprement humaine, d’autant plus convaincante qu’elle est contrainte à repenser ses modes d’érection, à contenir, pour mieux la formaliser, cette énergie sourde qui vibre en silence jusque sous nos pieds.