David Hockney, Ma Normandie — Galerie Lelong & Co.
La galerie Lelong & Co. présente, jusqu’au 27 février 2021, une grande exposition dédiée à une aventure de David Hockney en Normandie. Confiné au cœur d’une maison normande, le peintre a pu observer à loisir la luxuriance d’un printemps dont il est venu chercher à capturer la lumière et révéler, derrière la quiétude d’une nature en liberté, la vie intense qui sourd en chaque seconde passée à l’observer.
L’exposition fermera ses portes du 23 décembre au 05 janvier et se tiendra ensuite jusqu’au 27 février au 13 rue de Téhéran, 75008 Paris.
Retrouver David Hockney c’est se confronter ainsi chaque fois nouvelle à ce regard hanté par les maîtres et projeté vers l’avenir, toujours à l’affût (qu’il s’agisse de ses expériences photographiques évoquées précédemment ou de son utilisation régulière de la tablette tactile pour réaliser croquis et œuvres) de la nouveauté, qu’elle brise les codes de la représentation ou invite à regarder autrement la richesse du monde qui nous entoure. Ainsi de la figure de Monet qu’il admire profondément, qui se réfugia dans son jardin de Giverny pour y épuiser son appétit de peinture, David Hockney plonge sa palette depuis 2019 dans un projet éclos lors d’une visite de la tapisserie de la Reine Mathilde de Bayeux ; peindre l’écoulement du printemps dans la campagne normande. Après des mois de recherches et une pratique intensive au début de cette année 2020, nous voici riches d’une œuvre totale, où les méthodes, du dessin à l’acrylique, de l’encre à la toile nées d’une enquête spectrale, sensible et érudite des variations de la lumière, sur la nature et dans le ciel, à nos pieds et dans les airs.
Le cognassier, le pommier, le poirier, l’horizon, la maison, l’atelier, sa vie et son mouvement (comme en témoignent les silences, les éclosions sensibles de fruits, les gouttes claquant sur le sol gorgé, ou les voitures de visiteurs garées alentour) deviennent les acteurs principaux de cette aventure du passage d’un temps qu’on occupe avec délice aux côtés du peintre. Une fois encore, il nous entraine à ses côtés pour faire vibrer dans le paysage l’éclat d’un regard de biais, refusant à l’acception traditionnelle de la perspective sa valeur de résolution universelle. La lumière continue à travers sa pratique à « poser » des problèmes dont chaque peinture semble porter une tentative de mise en joug, chaque tableau étant marqué ici du sceau d’une réflexion qui rebat les cartes de la ligne de fuite pour tracer dans l’espace des diagonales sensibles, perméables à la sensation de lumière.
Composer, inventer, emprunter, David Hockney l’historien de l’art revisite ses pairs pour glisser dans la Normandie les souvenirs de la Provence, les mirages de Tahiti, les siennes d’Amérique, les cieux tourmentés flamands et l’humeur humide du Nord de l’Angleterre. Au gré des sentiments d’une région qui peut tout à la fois maculer le ciel d’un gris tonitruant, faire vibrer les infinies variations du vert ou éclater sur ses ocres pâles une lumière immaculée, Hockney fige dans ses paysages la dynamique d’un temps qu’il sait si bien voir passer. Tourments, plénitude, attente et contemplation se conjuguent dans les compositions collages où chaque élément, chaque feuille de chaque arbre, chaque brin de chaque herbe affirme sa réaction singulière à la lumière et dirige, le temps d’un instant, une focale personnelle qui organise la mise au point autour de lui. Avec, en ligne de mire, comme un miroir, l’anticipation des multiples regards, à venir, du spectateur, il fait proliférer les points d’entrée dans le tableau, ce déport de la perspective qui prend en compte l’infinité de ceux qui séparent précisément le regardeur de son tableau. Une force constante, magistralement déployée ici, dans son œuvre aussi riche graphiquement, sensiblement et sentimentalement que pétrie d’une recherche érudite sur la mire, la focale et la perspective dans l’histoire de l’art. Car c’est bien à travers son oeil, à la justesse et à la radicalité des torsions qu’il applique à la perspective que l’on reconnaît, quels que soient ses sujets, David Hockney.
Et si le cercle se décline aussi bien physiquement que dans le cycle des saisons passées, dans la volonté même du projet et dans le déploiement d’une frise qui l’a entamé, il apparaît qu’il l’a déjà déplié, allongé, mis à plat, éviscéré de ses lignes pour le reconstituer au sein des angles forcés de son propre espace de travail, celui du regard. La prégnance de la ligne fait ainsi éclater dans cette nouvelle série la dimension kaléidoscope de son travail, tout entier tourné vers l’accumulation des points. Multipliant les lignes de perspective pour mieux la renverser, chaque élément se fait point de mire occupant, le temps de l’attention, le centre de la composition. Dans l’humilité de ses effets, dans la marque sensible et faussement approximative de ses aplats, David Hockney semble faire de chaque coup de pinceau le dernier, celui sur lequel l’œil devra définitivement s’arrimer. Jusqu’au suivant ; jusqu’à s’échouer dans le vertige de ce réel brutalement et consciencieusement remonté à la surface, portant le regard à glisser bien plutôt qu’à s’abîmer.
La prégnance du plan, de la « bidimensionnalité » dans la multitude des sujets abordés par l’exposition se lit ainsi comme la persistance d’un filtre occultant, ouvrant chaque fois nouvelle une lucarne à la perspective accidentée d’un paysage dont la profondeur se lit par effraction, multipliant à l’infini les faisceaux qui fusent de chaque tache de couleur. Cette peinture constellation, qui inverse avec malice les règles de la bienséance devient ici la dérive grisante d’un monde qui l’entoure, cette faille dont on ne sait si notre œil ou l’ordre des choses est responsable mais qui empêche continuellement le repos et aiguise jour après jour la curiosité de qui ose s’y confronter.
Aucune répétition possible, aucune facilité, aucune « déclinaison » malgré l’apparence de variations ; chaque passage, chaque trace laissé par la soie du pinceau vibre de sa pure intensité. Il faut ainsi voir comme les feuilles s’étiolent dans ses branchages, comme les graviers se tiennent en équilibre sur les sentiers, bancals, comme posés sur la toile avec la grâce d’un nouveau-né. C’est la vertu des grands peintres de savoir tenir à distance la maîtrise tout en maintenant, jusque dans leur touche, le doute d’une lumière trop crue, d’une incandescence non désirée, d’une trace mal fagotée. Chaque peinture comme une première fois, chaque apposition du pinceau comme une révélation possible, Hockney délaisse la figure du maître pour continuer à exercer la poésie du lecteur, prenant note du livre que la nature lui tend pour tenter, à force de la retracer, à force d’essai, sa partition sensuellement interprétée.
Dans cette intimité paradoxale, dans l’investissement humain qui accompagne cette présentation, du projet initial rendu possible par une somme de conjectures et de discussions avec son galeriste à la description détaillée du quotidien du peintre, en passant par la réalisation de son affiche, l’exposition Ma Normandie célèbre cette combinaison propre à Hockney d’évidence, de magie, de simplicité et d’espièglerie érudite. Et continue de distiller le réel dans une solution si emplie de vie, si dynamique et si pleine de problématiques intelligentes qu’elle synthétise une solution au bonheur.