Editathon Art + Feminism — Entretien avec Flora Katz
À l’occasion de l’Editathon Art+Feminism Paris qui se tiendra les 4 et 5 mars 2017 aux Archives Nationales, Slash revient sur sa rencontre avec Flora Katz lors de l’édition précédente, en 2016, qui organisait cette initiative internationale portée par la Fondation Galeries Lafayette.
Donner plus de voix aux femmes par le biais de Wikipédia et des arts, telle est l’ambition de cet événement préparé depuis de longs mois dans le cadre des ateliers « Le présent de nos savoirs ». Rencontre, décryptage.
Léa Chauvel-Lévy : Quelle est, pour commencer, l’idée de ce marathon ?
Flora Katz : C’est un projet qui permet de faire avancer la présence des femmes par les arts. L’idée de ce marathon ? Pendant une ou deux journées, dans le monde entier, dans les institutions privées ou publiques, des personnes sont conviées à éditer sur Wikipédia des contenus sur les arts et les femmes qui manquent de visibilité. C’est la deuxième édition en France, et la troisième dans le monde.
Qui en a eu l’idée ?
Le marathon Wikipédia a été initié en 2014 par l’association Art + Feminism qui rassemble différents curateurs, bibliothécaires basés à New-York (Jacqueline Mabey, Michael Mandiberg et Sian Evans en sont les principaux actrices et acteurs). C’est Mikaela Assolent (chargée du développement des publics et de la documentation au Frac Lorraine à Metz), avec qui j’ai fait des projets curatoriaux à Paris et aux États-Unis, qui a eu l’idée de l’amener à Paris, et a fait le relais avec la Fondation Galeries Lafayette pour la première édition l’année dernière. La Fondation souhaitait se rallier à cette cause féministe, qu’ils soutiennent par ailleurs dans le cadre de productions artistiques, et de leur collection.
Pourquoi Wikipédia ?
Chaque mois, on compte 480 millions de visiteurs sur Wikipédia. En France, il y en a 20 millions par mois. La répercussion est immense. Wikipédia est un lieu qui a un impact manifeste et tout le monde peut y participer ! C’est une encyclopédie collaborative. Idéalement, il pourrait y avoir une parité, 50 % d’hommes et 50% de femmes, mais ce n’est pas encore le cas. Pour le moment, seulement 15% des contributrices s’identifient comme femmes. On souhaite donc, dans un premier temps, diversifier les contributeurs et contributrices sur Wikipédia.
Pour quelles raisons les femmes n’éditent pas plus sur Wikipédia ?
Les causes sont multiples. La Wikimedia Foundation a fait des études dessus. Les outils et la technique sont sans doute des freins. Il existe une peur par rapport à sa technicité et son langage très spécifique. Une des conséquences directes de la sous-représentation des femmes est la manière dont on parle sur Wikipédia des femmes, c’est encore très genré… « Elle est la femme de, la fille de… » Il y a donc un problème de langage qui n’est pas encore épicene, c’est-à-dire non sexiste. On sexualise encore trop le langage lorsque l’on parle d’une femme. Comme s’il fallait justifier le fait de parler d’une femme sur Wikipédia…
Comment opérez-vous lors de ce marathon ?
Deux journées de rencontre et d’écriture se déroulent aux Archives nationales de Paris. Il s’agit d’un moment de production convivial et solidaire où des personnes de tout âge et de toute compétence sont invitées à venir éditer ensemble du contenu sur Wikipédia et en discuter. Pour créer des articles qui manquent sur les femmes dans l’art, cela demande une réflexion sur les inégalités de genre qui creusent nos espaces réels et l’internet, un apprentissage de la plateforme et un dialogue ouvert. Il faut donc dans un premier temps produire ou rechercher des sources sur les femmes dont on souhaite parler. Puis, seul ou en groupe, on peut améliorer et rectifier des articles pendant le marathon.
Comment travaillez-vous ?
Des sujets sont préparés sur des femmes artistes qui n’ont pas ou peu de visibilité sur Wikipédia (Ulla von Brandenburg, Jennifer Lacey, Miriam Cahn sont par exemple des articles que nous travaillerons lors de ce marathon), puis il y a une équipe pour accueillir, apprendre à éditer, s’occuper des enfants (et oui c’est très important, nous pensons que c’est une raison de l’inégalité des genres sur Wikipédia), discuter des problèmes sous-jacents à cet événement. Depuis décembre ont donc lieu la série d’ateliers « Le présent de nos savoirs » qui prépare à ce projet. Il se déroule en deux temps où une artiste initie et transmet un sujet que les participants et participantes vont apprendre à éditer sur Wikipédia. Dans un geste solidaire, l’artiste femme parle du travail d’une autre artiste femme, qui n’a pas de page sur Wikipédia ou qui est mal rédigée, lors d’une présentation d’une demie heure. Elle transmet un savoir qui donne lieu à une page éditée par les participants et participantes. Une fois produit sur Wikipédia, ce savoir est accessible à tous. C’est un peu magique. Pour prendre un exemple concret, Marie Voignier, artiste qui réalise des films a évoqué le 22 février le travail de monteuse dans le cinéma. Il y a eu beaucoup de femmes monteuses et leur rôle n’est pas mis en avant dans le processus de création d’une œuvre. On en parle peu sur Wikipédia. Marie Voignier tient donc à ce que cela soit rétabli et on va ainsi créer, grâce à son intervention, un article sur Claire Atherton, la monteuse principale de Chantal Akerman. Pour cela, elle a produit une vidéo sous forme d’entretien avec Claire Atherton dont on diffusera des extraits pendant l’atelier. Kvardek du, wikipédien, a de son côté recherché des sources et prépare à l’avance l’organisation de la page Wikipédia qui définit la répartition du travail en équipe que les participants réaliseront après la présentation.
Comment cela se traduira les 5 et 6 mars prochains ?
À partir d’un formulaire d’inscription, chacun peut proposer des sujets d’édition et des groupes de travail. De même, l’équipe prépare à l’avance des sujets et des équipes qui seront annoncées sur un calendrier en amont du marathon. Le travail collectif est très important pour nous. Cela contraste avec l’habituelle édition solitaire, devant son ordinateur, sur Wikipédia. Il y a aussi, c’est une spécificité de l’édition parisienne portée par Lafayette Anticipation, un artiste qui crée le mobilier qui soutient toute l’action du marathon, Aaron Flint Jamison. S’est jointe à lui une jeune artiste française, Hélène Bertin, qui fabrique des broches pour reconnaître l’équipe d’accueil de l’Editathon. Dans l’espace d’édition, on pourra créer, améliorer ou traduire des sujets. C’est un moment vecteur de dialogue et de construction collective.
Combien d’articles ont déjà été créés par ce marathon ?
On compte 400 nouvelles entrées, 1000 nouveaux articles créés dans le monde, 27 articles en France et 23 articles améliorés pour l’édition de 2015. Ce n’est pas énorme comparé à tous les articles existants sur Wikipédia (29 millions d’articles dans plus de 180 langues) mais c’est une impulsion nécessaire qui est surtout là pour véhiculer une prise de conscience et un apprentissage des outils pour tous. Il y a donc une action locale et globale. Le MoMa, le LACMA à Los Angeles, le Stedelijk à Amsterdam sont des institutions qui y participent. Le fait que ces institutions fassent partie de l’aventure est essentiel pour transmettre ce projet à des publics larges avec des moyens généreux. Mais il faut savoir que ce marathon a aussi lieu dans des petites bibliothèques de quartier, des appartements privés, etc. L’idée est de faire prendre conscience que Wikipédia peut s’alimenter toute l’année et d’accompagner les personnes dans l’apprentissage de la plateforme. On mise en effet beaucoup sur l’« empowerment », l’aide à l’émancipation comme pratique de résistance aux inégalités de genre.
Quels sont les chiffres ou les faits qui montrent que le combat de ce que l’on appelle les « féminismes » n’est ni daté, ni derrière nous ?
On peut lire pour cela l’article de Maura Reilly dans ARTnews1 (26 mai 2015). Son article, brillant, évoque la situation des femmes dans les arts. Elle rappelle des chiffres : depuis 2007 au Centre Pompidou, seules 16 % des expositions personnelles ont été consacrées à des femmes. Sur Artforum en 2014, seulement une seule couverture a été consacrée à une femme. Le constat parle de lui-même. D’autre part, le féminisme ne porte pas sur l’identité féminine comme unitaire et fixe. Se solidariser envers les féminismes, c’est tout d’abord commencer par s’adresser à toutes les femmes, et donc aussi à leur diversité géographique, ethnique et religieuse. Cela voudrait dire, par exemple, s’interroger aussi sur ce qui constitue l’identité plurielle d’un pays lorsque l’on regarde ses collections nationales. Et pour moi, cette méthodologie d’ouverture plurielle s’applique non seulement aux femmes mais aussi à toute personne qui est sous-représentée dans l’espace dans lequel elle vit. Un monde plus équilibré passe par une adresse et une mise en visibilité de tous et de chacun-e.
Est-ce que certains remèdes sont à mettre en place concrètement et rapidement ?
Oui, il me semble que les commissaires d’exposition sont responsables de mettre en visibilité cette diversité, de même que les critiques d’art, qui peuvent veiller à cet équilibre dans leurs articles. Les institutions et les galeries peuvent également jouer un rôle capital. Par exemple, le Frac Lorraine, avec à sa tête Beatrice Josse, fait un travail impressionnant dans ce sens, avec une collection et un programme tournés vers les minorités (en ce moment y est présentée l’artiste Nil Yalter, plasticienne turque et féministe née en 1948, dont le travail est très peu connu du public). De même, Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic qui ont fondé et dirigent la galerie Marcelle Alix à Paris, portent des femmes artistes très importantes dans le paysage de l’art contemporain, comme Liz Magor, Pauline Boudry et Renate Lorenz, Laura Lamiel. Les artistes sont aussi au cœur de cette problématique et ce par de multiples points d’ancrage. Par exemple le jeune artiste français Paul Maheke, actuellement en résidence à Londres à la South London Gallery, utilise la danse, ses espaces, ses communautés, comme méthode d’émancipation et de résistance. Ils et elles se joindront à l’Editathon pour raconter leur travail, leurs combats, lors de discussions.
Certains commissaires peinent parfois à trouver des femmes artistes pour les expositions dont ils s’occupent…
Oui ce n’est pas simple, il faut se mettre en réseau pour cela, et continuer à chercher, par le dialogue, les rencontres. Internet aide beaucoup !