Éléments ordonnés — Galerie Laurent Mueller
Imaginée originellement comme un dialogue entre deux artistes, l’exposition Éléments ordonnés déroute de prime abord, car elle ne présente dans la galerie laurent mueller que les créations de l’artiste français Benoît Blanchard, celles de l’artiste allemand, Martin Meyenburg, n’étant visibles que sur internet. De cette proposition a priori bancale naît une exposition contre toute attente, d’équerre, où la narration et le méta-discours artistique tiennent une grande place pour un résultat sensible et hautement convaincant.
« Martin Meyenburg, Benoît Blanchard — Éléments ordonnés », Galerie Laurent Mueller du 6 février au 22 mars 2014. En savoir plus D’un scénario catastrophe, l’exposition Éléments ordonnés s’est relevée fièrement à la faveur d’un artiste, Benoît Banchard, déterminé à faire exister des œuvres qui ne pouvaient être exposées. Le parcours qui devait se faire à deux n’a pas lieu, ou tout du moins, pas sous sa forme originelle, car Martin Meyenburg décommanda trois semaines avant son commencement. Face à ce contretemps rédhibitoire, Benoît Blanchard, prit une décision qui tient de la proposition artistique et ouvre l’exposition : « Paris, 5 février 2014. Cher Martin, Rien ne sera fait sans toi, ton œuvre sera prise en charge par Œuvres à l’adresse suivante http://œuvres-revue.net. Benoît Blanchard. » Ce courriel, encadré solennellement, sonne comme un préambule conceptuel qui n’aurait rien à envier au travail de Sophie Calle. Pourtant, ici c’est la stricte réalité qui s’énonce. À côté, on lira ces lignes du galeriste qui éclaireront encore la situation : « Cher Benoît, Je viens d’avoir des nouvelles de Martin. Il m’a annoncé ne pas être en mesure de participer à l’exposition Éléments Ordonnés. Laurent Mueller. »Plus forte que la fiction, cette narration du réel constitue déjà en soi une source d’intérêt. Accepter et intégrer le hasard, l’accident, l’irruption de l’imprévisible est bien plus fascinant que d’annuler, par facilité, l’événement. Ce choix, aussi audacieux que périlleux, conditionne le regardeur, directement mis en présence de l’absence. Cette modalité de présence-absence est la parfaite introduction à ce qui suivra. Un travail sur la disparition, précisément. Disparition de poutres destinées à se consumer qu’il faut représenter avant qu’elles ne soient plus que braises et cendres. Aussi, l’artiste relève-t-il à l’échelle 1 ces tronçons de bois dont la forme l’obsède depuis longtemps. Du reste, il explique que sa démarche possède un temps long. Avant de dessiner certains objets qui l’entourent, plusieurs années s’écoulent parfois. Il se frotte à la réalité longtemps avant de l’englober, la happer dans un souffle qui évoque le fantasme de possession du monde tout comme le besoin d’en arrêter le cours. Ainsi de ces poutres, de ces solives, de ce bois qui sous son crayon bleu revêtent l’aspect minéral des arbres fossilisés en Arizona. Ainsi également de ce rideau noir, que son regard fixa pendant l’enfance et qui donne ici forme à son souvenir. Derrière ce rideau, le portrait, à l’huile, de l’absent, Martin Meyenburg. Rien ne sera fait sans lui, en effet, car il observe les dessins de l’exposition comme Benoît observait son rideau, les poutres et le monde autour.
De cette subtile mise en abîme se dégage nettement l’interdiction de l’oubli des êtres et des choses, ainsi qu’un certain goût de la permanence. Ou de l’ubiquité. Martin est là sans l’être, tout comme le souvenir d’une chose la fait vivre alors qu’elle a plus tôt disparue.