Etat(s) de matière — Fonds de dotation Verrecchia
Après les avoir accueillis au château de la Maye de Versailles qu’il occupe temporairement, le Fonds de dotation Verrecchia présente l’exposition Etat(s) de matière des artistes de sa résidence jusqu’au 1er octobre qui témoigne de cette expérience d’artistes au contact de la pierre.
Forte d’une première expérience menée en fin d’année dernière à l’issue d’une résidence à Aulnay-Sous-Bois, la bourse Matière(s) témoigne de l’intérêt porté par les jeunes artistes autour d’une pratique de travail de la pierre qui, au-delà de son patrimoine et de son histoire, continue de révéler son champ de possible. Avec une douzaine de propositions abouties, les artistes ont développé, avec l’accompagnement de compagnons du devoir ou à travers d’autres modes de formations encouragés par le fonds, chacun à leur manière une relation à la pierre qui interroge le médium autant qu’elle en invente un usage et explore sa nature, multipliant, dans une esthétique contemporaine du travail en cours, les expérimentations de formes et de supports.
Dans un espace volontairement maintenu en état de transition, la fondation occupant les lieux de manière temporaire, les artistes présentent les résultats de cette résidence au projet ambitieux au sein même de l’espace qui en a vu naître les œuvres. Une intimité qui se ressent dans la simplicité de la mise et l’ouverture plutôt inattendue de l’édifice au public qui peut ainsi flâner au cœur d’un lieu plein de vie. Une générosité et une spontanéité qui viennent compenser un manque malgré tout sensible de travail curatorial dans cette présentation légèrement décousue au rythme maitrisé. Le temps d’apprentissage, les œuvres et les nombreuses actions qui, notons-le, semblent passionnantes, ouvertes et exigeantes auprès de tous les publics qu’elles prennent au sérieux constituant en effet l’essentiel du projet de la fondation.
Des démarches pourtant se détachent clairement avec des jeux sur la matière, des décalages de genre qui offrent une réflexion sur l’appropriation d’un medium, à l’image d’Emilie Hirayama qui expérimente l’art japonais du Suminagashi (papier marbré) sur la pierre, offrant des œuvres passionnantes où la réflexion sur la série, la fragilité du motif et l’éclat de couleur trouve une profondeur accrue en installant en vis-vis un nuancier et le résultat de la rencontre de l’encre et de la pierre. La surface de chaque rectangle surmontée d’une composition abstraite dégage une douceur ambiguë et trouble qui rompt avec l’austérité attendue.
Les fines ciselures des totems et installations de PIC Studio (Audrey Guimard et Camille Coléon) renversent, quant à elles, le sens même de l’ornementation. À l’inverse de l’étalage d’une préciosité de façade visant à asseoir la notoriété du bâtiment qu’il habille, le travail méticuleux de la pierre révèle ici la complexité et la puissance plastique d’une matière première dont les aspérités déclinent et démultiplient les intensités de lumière, imposant un changement perpétuel, à la mesure de l’éclairage qui les frappe.
Avec ses fragments d’une plaque de mortier imprimée, Juliette Talon recompose un paysage éclaté qui suit les sinuosités d’une réflexion entamée avec le galet, décrit par Francis Ponge dans Le Parti-pris des choses, “s’empêtr[ant]” avec délice dans une analogie du paradoxe de la pierre, parangon de solidité et fragment impossible à ramener à son état initial. Jouant du retournement de perspective autant que de la variation d’échelle, l’artiste décompose elle une image satellite qui évoque immanquablement une découpe verticale de couche sédimentaire autant qu’une superposition de lignes d’horizons verticales. La réflexion, passionnante, se résout alors dans une fragmentation du motif à la surface du sol qui perturbe, par le choix précisément de la matière, les sens. Canalisée et plus explicitement articulée, cette réflexion s’avère, elle aussi très prometteuse.
C’est la force de cette présentation qui, à travers une démarche ouverte à des artistes très différents qui osent dans l’expérimentation qu’ils laissent à sentir, explorer les possibilités d’un matériau devenu medium, fouillant à leur tour les possibilités esthétiques d’une matière qu’ils nous invitent, par ce biais, à regarder dans sa singularité, attentifs à la richesse plastique qu’elle recèle.
Etat(s) de matière, exposition du Fonds de dotation Verrecchia, du 17 septembre au 1er octobre, de 12h à 18h — Entrée libre — Château de La Maye, 49 Rue du Parc de Clagny, 78000 Versailles. En savoir plus
Avec les artistes : Caroline Besse, Jules Dumoulin, Emilie Hirayama, Chemsedine Herriche, Kuamen, Miles Le Gras, Antonin Leymarie, PRIA, Frédéric Saulou, Juliette Talon, Marine Zonca, Denis Macrez (artiste invité), PIC Studio (Audrey Guimard et Camille Coléon).