Gaëlle Choisne, L’Ère du Verseau — Prix Duchamp 2024, Centre Pompidou
Gaëlle Choisne invente, pour la présentation du prix Duchamp présenté au Centre Pompidou dont elle est lauréate, un display global qui fait s’embrasser les pieds et les cieux, invitant à pénétrer le temps astral en emprisonnant au sol les fétiches de nos temps.
Derrière son apparente explosivité, L’Ère du Verseau, parvient à conjuguer cette ambition d’ouverture à tous avec une vision intime et universellement subjective de nos émotions. Une installation sensible et aussi directe que finalement délicate, créant un espace-temps plein d’une poésie de rencontres et de coïncidences, où minutie et spontanéité s’associent au sein d’un projet bien arrimé.
« Prix Marcel Duchamp — 2024 », Centre Georges Pompidou du 2 octobre 2024 au 6 janvier 2025. En savoir plus S’appuyant sur un concept aussi riche dans la symbolique ésotérique que discuté dans son application rationnelle, la présentation dresse des ruches accueillant des projections au sein d’une structure centrale à laquelle font face des panneaux en contreplaqué décorés, peints, ornés, maquillés et même tatoués par une impression UV initiale. Autour gravitent des œuvres de sa série Pause-clope, sorte d’autels à ces moments suspendus, aussi rituels que nécessairement communs. Une pluralité de visions qui laissent l’interprétation ouverte autour de la symbolique de renouveau portée par le thème central. C’est que le symbole, comme souvent chez Gaëlle Choisne, agit comme un moteur à l’imaginaire plus que comme un mentor à la pensée. Le dialogue ouvert par ses travaux qui convoquent des éléments d’univers et de traditions de pensée multiples est toujours tourné vers des forces de libération, vers des horizons recomposés de toutes les différences. Pour embrasser au plus près la dynamique de l’inattendu, pour célébrer les formes et ordres de cultures en tant que telles, hermétiques à l’imposition d’une pensée univoque.Les paradoxes éclosent de toute part. L’apparent artificiel s’y révèle ainsi le plus à même de préserver le naturel avec un sol travaillé pour protéger de toute émanation toxique et la nature se voit, elle, altérée, sculptée, réinventée pour exprimer, à travers la matière, ces grands courants d’énergie affective qui nous parcourent, nous entourent et nous font face. Jamais oublié, le réel surgit par touches, le fait devient proprement hybride ; il se recompose à force d’associations qui intègrent ses spectateurs essentiellement à l’ensemble. Organique, minéral, et artificiel cheminent les uns à côté des autres, univers célestes et profondeurs aquatiques s’emmêlent en sourdine à travers des signes discrets de révolution hurlante.
Inversant les ordres, Gaëlle Choisne bouscule les hiérarchies en mettant en scène la vertu tourbillonnante du cosmos pour l’appliquer au monde des affects. Là dansent les signes et motifs en une ronde vibrante, sur les murs, sur les socles, à nos pieds et alentour. Sans égards pour leur valeur, leur histoire, tous ces objets « communs » portent en eux une familiarité qui fait écho à toutes ces intimités qui se découvrent dans les rencontres, renvoient aux éléments qui peuplent nos découvertes affectives, impriment par effraction nos souvenirs.
Pièces de monnaie, bijoux résonnent avec les autres accessoires survivant à cette prise magmatique par le sol, qui joue comme un piège autant que comme un écrin. Les horizons tremblent, d’envers en endroit, l’installation nous mène à considérer, par le pied, les voutes astrales. Un renversement inattendu dans la pratique de l’artiste encline à utiliser davantage la verticalité et la suspension.
Embrassant alors une vertu plus didactique qu’attendue de la projection ésotérique qu’est cette « ère du Verseau » augurant d’un grand renversement cosmique, l’artiste lance ici ce qui pourrait bien être un appel tout autant rationnel à basculer notre seuil d’attention vers le sol et enrichir notre imaginaire et notre sensibilité à l’aune de ses méandres.