
Grichka Commaret et Tohé Commaret — Fondation d’entreprise Pernod Ricard, Paris
La Fondation d’entreprise Pernod Ricard présente Miss Recuerdo, exposition en duo de Grichka et Tohé Commaret, artistes et frère et sœur, dont les pratiques aussi distinctes qu’affirmées semblent ici convoquées au nom d’une origine commune plus que d’un dialogue réel.
Il y a dans ce projet une tentative de justesse, mais qui semble reposer sur un raccourci contestable : celui de faire de la filiation et d’un film commun, Palma, le liant principal d’œuvres dont la force respective tient justement à leur autonomie. Un choix curatorial étonnant qui place côte à côte des démarches sans véritable tentative d’écriture commune. La scénographie, assez subtile dans son dépouillement et ses contrastes, ne sauve pas cette absence de dialogue. À défaut d’un commissariat réellement articulé, c’est peut-être dans l’absence d’articulation que l’on peut trouver une forme de cohérence. Chacune de ses œuvres imposant sa propre structure conceptuelle à un monde dont elle ne perd pas la réalité tangible.
On retrouve, chez Grichka Commaret, une peinture empreinte l’habitat urbain, de ses structures fixes — interphones, portes, cages d’escalier — qui, pourtant, semblent s’évaporer dans leur accumulation. Une énumération plastique, presque sérielle, qui tend vers un surréalisme discret derrière la multitude de références esthétiques qu’il mobilise. Ni motifs ni signes, les éléments s’agencent en un ordre secret qui réinvente l’idée d’un lieu sans fonction, vidé de ses usages, porté par une mémoire qu’aucun ne partage.
Face à ces toiles, les films de Tohé Commaret imposent une gravité superbe. 8, notamment, déploie une tristesse immense, une dérive douce et lente à travers des corps fatigués, des visages qui cherchent sans demander. L’idée de _shifting_ — ce rêve éveillé, cette fuite sans sommeil — traverse les images comme un mot d’ordre silencieux. Je ne dors pas, je rêve. Atonie que mime sans l’embrasser la caméra de l’artiste qui laisse l’attention se porter au détail, au passage et à l’immobile, à l’aura des gestes quotidiens dans un décor résiduel plus que résidentiel.
Évitant avec constance l’attraction du romantisme, ses films et jonglent entre plans travaillés et constructions aléatoires, déjouant dès qu’elle s’en approche, la tentation de faire image. Car si les signes d’une réalité urbaine dont on comprend que l’artiste a partagé le quotidien sont au centre de l’action, ils ne constituent jamais des balises mémorielles et renversent cette part autobiographique vers la description plus universelle d’un décorum aléatoire. Les regards, les mouvements, mis en scène ou précisément non contrôlés sont les véritables enjeux d’œuvres qui les rendent sublimes sans jamais chercher à les sublimer.
Se joue alors une rencontre décisive dans le vide des regards, dans les formules éculées de ses interlocutrices : celle d’un cinéma de la torpeur, du repli, de l’épuisement qui n’est ni pose ni pathos, mais condition d’existence. Les adultes y sont durs, blessés, comme figés dans un monde dont les règles leur échappent, les enfants perclus de failles. Et dans ce théâtre d’un réel doucement fissuré, c’est la fiction qui devient nécessaire, vitale, parce qu’elle est la seule voie pour le rejoindre.
Alors, malgré des doutes quant à la pertinence de l’association de ces démarches qui s’additionnent sans converger, on profite avec bonheur de cette présentation qui laisse aux œuvres des deux artistes la responsabilité d’affirmer plus encore leur singularité.
Miss Recuerdo, Grichka Commaret et Tohé Commaret, Fondation d’entreprise Pernod Ricard, 1, cours Paul Ricard, 75008 Paris, du 18 février au 19 avril 2025, du mardi au samedi, de 11h à 19h, le mercredi de 11h à 21h