
Ruoxi Jin — Galerie Mennour, Paris
Présentée dans le cadre de l’exposition collective L’heure bleue, Mennour Emergence #2 à la galerie Mennour, Ruoxi Jin dévoile des sculptures d’une apparente fragilité, derrière laquelle se cache une puissance plastique et conceptuelle d’une intensité rare. Le spectateur est saisi par cette tension entre délicatesse formelle et densité symbolique, comme si la précarité du matériau épousait celle du monde qu’elle donne à voir.
Tout juste diplômée de l’École des Beaux-Arts de Paris (atelier Guillaume Paris), Ruoxi Jin (née en 1997 à Harbin, Chine) développe une pratique polymorphe et résolument conceptuelle. Ses œuvres, souvent énigmatiques, évoquent des réalités alternatives, des possibles suspendus, qu’elle envisage comme des décors instables d’un théâtre mental, tissant un fil continu entre structures visibles et invisibles, vérités et légendes qui régissent notre perception du réel.
Lauréate (parmi les six artistes) de la seconde édition de Mennour Emergence, elle propose au sein de cette présentation collective un projet d’une grande singularité, à la fois ancré dans la tradition plastique et radicalement tourné vers l’intime. Ses sculptures, composées d’alliances subtiles de matériaux hétérogènes, construisent des récits muets mais vibrants, dans lesquels se croisent le minéral et l’organique, la mémoire et la projection, la disparition et l’éveil. Autobiographie rêvée et plurielle, chaque pièce décline le portrait d’une vie antérieure, alter ego d’une Ruoxi dont le nom se répète sans jamais s’écrire de même. Ou comment décrire avec le plus de justesse et d’invention le bégaiement du destin, la ritournelle des déterminismes… Une pensée poétique qui fait de la forme le matériau de compositions enchaînant avec une fantaisie heureuse les associations, rencontres et contradictions de matières dressant les portraits effarants d’idées fugaces et d’existences fugitives. Le trivial rejoint l’essentiel, le quotidien s’accole précieux, le mondain rencontre le symbolique, sans autres ordres que ceux présidant à leur création.
Avec une audace tranquille et une justesse de composition remarquable, ses œuvres restent toujours à la surface de l’explicite, déjouant les attentes et défiant la symbolique. Présences ambivalentes, ses sculptures surgissent d’un autre temps, voire d’une autre temporalité, d’un espace intérieur, tout en s’ancrant fermement dans l’instant et le lieu. Dans cette capacité à faire dialoguer l’éphémère et le durable, le jeu et le sérieux, chaque chose participe de la mise en scène d’un nouveau mystère qui prolonge celui, vague, qui nous entoure.
Le visiteur navigue alors dans une multiplicité de strates sensibles : évocations de vies passées, fragments de récits oubliés, clins d’œil aux formes classiques revisitées avec une ironie discrète. Sous la surface maîtrisée, transparaît une volonté de sonder les limites de la représentation et de la mémoire. Ces constructions fragiles, presque flottantes, donnent corps à l’ambiguïté essentielle de toute métaphysique : celle d’un monde où l’être et l’apparence, le visible et l’invisible, se confondent sans jamais se résoudre.
En détournant les codes et en jouant des symboles, Ruoxi Jin réactive le geste artistique dans sa dimension la plus profonde : relier, l’espace d’un instant, des altérités en apparence inconciliables, créer un affect partagé, et ouvrir — dans les failles du visible — la possibilité d’un regard commun, qui ne sait pourquoi il se trouve en si bonne compagnie.
Exposition Mennour Emergence #2, L’heure bleue avec Matias Agafonovas, Zoé Bernardi, Clémence Gbonon, Amine Habki, Ruoxi Jin et Nicolas Lebeau, du 26 mars au 10 mai 2025, galerie Mennour, 5 rue du Pont de Lodi, 75006 Paris, en savoir plus
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