
Berserk & Pyrrhia — Frac Île-de-France, Paris, Romainville
Les pistes sont nombreuses et souvent très bien exploitées dans la grande exposition Berserk & Pyrrhia organisée au Frac Île-de-France à Paris et à Romainville autour des survivances du Moyen Âge dans l’imaginaire contemporain.
Une double répartition dans les deux espaces d’exposition du Frac permet de composer un récit en deux mouvements qui conservent toutefois de nombreux liens. Loin d’imposer une catégorisation définitive et suivant en cela la nature ouverte des œuvres sélectionnées, les deux commissaires proposent un travail qui se lit plutôt en séquences, semblant opérer par discussions improvisées entre problématiques politiques. Elles font tour à tour de l’invention un biais de licence émancipatrice du bon sens, une affirmation de liberté, voire un outil nécessaire pour survivre.
C’est précisément dans cette dimension ouverte, dans le sérieux de son bagage scientifique (en collaboration avec le commissaire principal du musée de Cluny) et dans le plaisir presque « geek » de disposer de pièces d’époque qui apparaissent comme autant de jalons ouvrant des passages vers la réalité de ces temps inventés que Berserk & Pyrrhia est la plus convaincante. Suivant en cela les élans des jeunes artistes mis en avant, l’ensemble explore la figure humaine comme un ensemble de caractères mouvants, jamais réduit à sa réalité biologique, se transformant sous nos yeux en animal, végétal, chimère ou constituant lui-même un paysage expressif. Architecture, peinture, installations et équipements technologiques modernes participent d’une même partition, déployant par la forme, par la démultiplication d’angles aigus et de courbes assumées, la raideur d’un univers où habiter ne suffit pas à trouver sa place.
Certaines œuvres frappent par leur capacité à suspendre le temps et à inscrire dans cet élan une perspective radicale de rupture avec notre contemporanéité. À l’image notamment du tableau impossible de Carlotta Bailly-Borg, où la figure du moine sert de vis-à-vis à une plante ; leur réunion, presque absconse, participe à la réduction narrative de leur rencontre, offrant finalement bien plus de possibles qu’elle n’en élude. Ou encore de L. Camus Govoroff et sa fontaine percluse de références et d’ambiguïtés, se résolvant dans ce système clos sur lui-même. Sans oublier la chapelle méconnue de Parvine Curie, d’un noir aussi profond que polysémique, les jouissives fabulations de Lou Le Forban, qui lient à travers la spontanéité de l’imaginaire une multitude de traditions géographiques et historiques de dessins, le grotesque organique de la taupe de Nicolas Kennett, ou encore le piège visuel de Liz Magor et sa sculpture monumentale supportant un fauve à l’ambiguïté géniale, oscillant entre le totem d’exhibition de puissance et la fragilité des bestiaires du Moyen Âge, où nombre d’animaux ne vivaient, avant leur représentation, qu’à travers les mots de leurs auteurs. Autant de pièces majeures qui participent d’un ensemble à l’éclatement maîtrisé, où les ruptures de styles et les déséquilibres interdisent une lecture linéaire et le raccourci de la séduction, pour maintenir une dissonance féconde, un grondement perpétuel qui met à mal, il faut le saluer, toute velléité dogmatique.
C’est toute la dimension du jeu, la préservation du plaisir de la création face aux impasses mentales, qui se fait jour dans l’enchaînement des propositions à un rythme soutenu, engageant de véritables dialogues entre motifs et matériaux, entre imaginaires et pratiques. Une vision généreuse et plurielle d’une époque qui se laisse appréhender par différents biais cognitifs et ouvre ainsi la voie à des désirs et possibilités qu’elle libère, appelant in fine à une relecture des entrelacs entre l’homme et la nature, la magie et l’organique, et à une réappropriation de l’histoire pour inventer un champ inédit où les batailles, plus intimes, n’en sont pas moins épiques.