Heimo Zobernig — Galerie Chantal Crousel
Figure majeure de la scène artistique autrichienne de ces quarante dernières années, pays qu’il a d’ailleurs représentée en 2015 à la Biennale de Venise, Heimo Zobernig pratique un art de la discrétion à travers une multitude de médiums et de formes qui en soulignent la perpétuelle capacité à se mouvoir comme à s’émouvoir, s’imprégnant des affections d’un contexte auxquelles elles n’échappent pas, intellectuelles ou purement sensibles. La galerie Chantal Crousel présente une exposition majeure de ses travaux depuis les années 1980.
De l’évidement monumental qu’il avait opéré en présentant un pavillon d’exposition vide en 2015 à la Biennale de Venise à l’invasion incontrôlée de lettres et de carreaux colorés de ses toiles, ses jeux d’échelles manient les symboles et les enjeux avec une égale minutie. Alors, en guise de rétrospective attendue, Heimo Zobernig encore une fois s’échappe, tout comme il s’est toujours appliqué à tenir une voie de réserve à toute classification de son œuvre (minimale, abstraite, géométrique), à la compilation chronologique pour proposer autant de détours, souligner des mouvements et des intensités qui réactivent plus qu’elles ne présentent, l’ensemble de son travail.
Derrière la méticulosité et la singularité de chaque pièce se dégage également, dans cette présentation, le goût de Zobernig pour composer avec l’espace que son travail occupe et plus encore avec le spectateur à venir qui, à son tour, devra bien s’occuper. La scénographie de l’exposition scande ainsi entre les cimaises de la galerie une dynamique de la monstration qui explore supports et matière, horizontalité et verticalité pour explorer les enjeux mêmes de la mise à disposition du regard. Le « display », terme décisif dans sa démarche se reflète ici avec les jeux de contours et de détours qu’il impose au corps du spectateur, les différentes perspectives qui aimantent les regards et deviennent autant de possibilités d’un tableau global toujours changeant. Sculptures et motifs abstraits composent alors un paysage littéral qui s’imprègne de la dynamique de l’oeil accentuant notamment avec force les marques des ombres, véritables stigmates des œuvres en volume sur leur espace d’occupation.
De même, les matières et l’usage de textures souples deviennent autant d’indices d’une bataille rangée contre le silence d’un espace qu’il a la charge de transformer. Les sauts dans le temps opérés par les choix d’œuvres exposés révèlent en creux des apories qui, on l’imagine, ont constitué des batailles là aussi conceptuelles dans les directions et expérimentations à mener, abandonnant ou réemployant des éléments que l’on retrouve transformés, infléchis, apprivoisés ou abandonnés.
À ce titre, la lecture de Stéphanie Moisdon qui accompagne l’exposition, insistant sur la capacité de l’artiste à détourner l’autorité d’espaces d’expositions riches d’une histoire d’injonctions et de conventions pour s’imposer ses propres contraintes, plastiques et fruit de rencontres et d’échanges, est immensément éclairante sur les enjeux d’une telle exposition. Mais plus encore elle en révèle, sans la magnifier, la portée « dramatique » d’une démarche artistique, ses épisodes matérialisés par autant d’histoires qui se racontent, se taisent ou se devinent. Qui, en tous les cas, bougent.
Car il s’agit bien, dans la fixité de la monstration et dans le compagnonnage (jusqu’à l’opposition) de l’art et de l’architecture, de suggérer le mouvement, de laisser voir, dans la création, la possibilité continue d’adapter, de modifier et d’envisager différentes vies avec elle. Rôle fondamental d’une histoire partagée avec l’architecture qui se voit, en dernier lieu, elle-même habitée par l’art et, in fine, percluse de ces intensités dynamiques qui apparaissent comme autant de points de résistance à la tragique question de la finitude.