Les Journaux de la Triennale
La Triennale de Paris n’est pas qu’une exposition. Depuis le mois de janvier, ses organisateurs ont eu la bonne idée d’éditer, chaque mois, un journal confié, chaque mois, à l’un des commissaires de l’événement.
En attendant la sortie du troisième numéro du Journal de La Triennale dirigé par Abdellah Karoum, petit tour d’horizon des très riches Désapprendre de Claire Staebler et 4 Têtes et une oreille d’Émilie Renard, disponibles gratuitement en téléchargement et ce, en anglais et en français.
Véritables propositions artistiques, ils dissèquent chacun à leur manière un programme ouvert et conscient des enjeux inhérents au projet de la Triennale. Faisant intervenir des artistes par la parole ou par la création (sans se limiter aux seuls présents dans l’exposition à venir), des critiques et des commissaires, les journaux de la Triennale constituent une base de recherche, un laboratoire de réflexion autour de la question essentielle de cette édition de la Triennale de Paris ; l’intense proximité.
Avec Désapprendre, Claire Staebler entamait le cycle de réflexion en amorçant un questionnement des modalités du « désapprentissage » et, partant, la nécessité de penser les conditions de l’apprentissage. Naviguant entre les disciplines (architecture, arts plastiques, littérature) Claire Staebler interroge le processus de création en discutant des possibilités de sa réception. Désapprendre d’abord avec l’ « interview » de Walter Benjamin de Nikita Choi et la réflexion autour de la condition de la copie comme avenir de l’original. Ou comment noyer les attendus de la connaissance pour faire de l’incohérence d’une telle entreprise (la parole de Walter Benjamin concernant un musée du XXIème siècle), la condition de possibilité d’émergence d’une idée. Outil de réflexion donc mais aussi source d’information avec une très belle interview, par la commissaire associée Claire Staebler, du commissaire principal Okwui Enwezor qui développe sa vision de la Triennale au travers d’exemples concrets d’œuvres présentes.
4 têtes et une oreille, tout aussi passionnant, va fouiller les différentes modalités d’appréhension du corps à travers les arts plastiques. Tissant sa réflexion à partir de l’observation d’une photographie de William Klein, ce second numéro poursuit ce laboratoire vivant autour du thème général de la Triennale. Autour du trouble de l’image, il explore sans retenue les raisons de montrer l’ordinairement « immontrable » pour forcer à modifier la position du spectateur. À ce sujet, la piste développée par Jean-Luc Moulène et ses Filles d’Amsterdam est d’une richesse inouïe, oscillant entre malaise et évidence, forçant, comme le remarque très justement Okwui Enwezor : « Moulène nous pousse aussi à résister au jugement hâtif — « c’est pornographique, c’est de l’exploitation, c’est ceci ou cela » Il nous oblige à céder du terrain et nous offre la possibilité d’un nouvel espace de réflexion ».
Sans craindre la controverse, ce deuxième numéro introduit de véritables pierres dans un débat qui prouve, s’il le fallait encore, « l’intense proximité » de la création plastique et de ses propositions avec les questions sociétales. En témoigne la position radicale de Thomas Hirschhorn plaidant pour la monstration de corps humains détruits : « Pour se confronter au monde et lutter avec son chaos, son incommensurabilité, pour coexister et coopérer dans ce monde, avec l’autre, j’ai besoin de me confronter à la réalité sans me distancer »