Mimosa Echard — Prix Marcel Duchamp, 2022
Pour le Prix Duchamp dont elle est cette année lauréate, Mimosa Echard déploie entre les murs du Centre Pompidou Escape more, une paroi organique au creux de laquelle dansent formes et couleurs qui charrient les motifs plastiques d’une mémoire intime, qui s’expose autant qu’elle se voile.
Laissant en suspens depuis quelques expositions ses toiles emblématiques emprisonnant couleurs, images et objets sous la matière synthétique, Mimosa Echard continue d’explorer les liens entre modifications organiques, biologiques et chimiques à travers la vidéo dernièrement à la MABA de Nogent1, le tissu et le rideau monumental qu’elle déployait cet été au Palais de Tokyo 2 ou avec cette installation au Centre Pompidou, inspirée à l’origine d’une hypersensibilité et d’un déferlement lacrymal.
Inventant un nouveau geste plastique, elle aménage derrière une paroi inondée une composition d’objets et d’images que le mouvement empêche de discerner clairement, convoquant tour à tour les figures de Sinead O’Connor , Bas Jan Ader (I’m Too Sad to Tell You, 1971), Alexander Mc Queen (Untitled — Golden Shower, 1998), Dan Graham, (Rock My Religion) et Paul B. Preciado, (Pornotopie, 2011). Une galerie de figures qui font osciller la focale du romantisme le plus lyrique à l’étude analytique réflexive. Un mélange détonnant et déroutant qui contribue à la singularité de cette œuvre sensible dont la charge émotive séduit autant qu’elle met en garde.
La liste de matériaux, détaillée sur le cartel, érige sur une dizaine de lignes un premier geste artistique ; « verre, noyaux de cerise, colliers, bracelets, gélules, poudrier, ovule de ginko, chat en peluche, dentelle, pollen de lotus, poudrier », la liste de trésors personnels, comme issus d’une trousse à outils fantasmée d’adolescente à la féminité performative s’étend jusqu’à l’absolu : « soleil, lune et étoiles phosphorescentes ». Le tout, camouflé par le mouvement de l’eau oscille entre la fenêtre sur soi et la distance nécessaire du créateur sur son regardeur. Comment en effet consacrer sa vie à la création, à l’exposition, et in fine à la monstration sans prétendre imposer sa propre existence « devant celle de l’autre » ? En embrassant, peut-être est-ce là une voie de traverse, à plein ce paradoxe et en tendant ce genre de miroirs qui brouille notre reflet comme le sien, nous redessinant en creux, qui que l’on soit, au cœur du dispositif symbolique de l’autre 3.
C’est ainsi probablement par cette capacité à construire des écrans aussi protecteurs que révélateurs que l’œuvre d’Echard frappe immédiatement son spectateur, par un sens aigu de la composition qui intègre en son sein des préoccupations universelles de préservation et de dévoilement de l’intimité. Le tout en réinventant, plastiquement, la représentation d’une chair dont la teinte fauve ici redessine une peau organe en mouvement constant. En son sein, le paradoxe gronde ; la somme d’artefacts personnels s’apparente à autant de trouvailles personnelles (les rebuts du monde de l’apparat et de la séduction côtoient les récoltes rares de plantes glanées au cours de périples dans la nature) et la proximité d’objets transformés peuplant nos intérieurs (jouets, outils technologiques) résonne paradoxalement de manière moins « exotique » que des éléments naturels.
Dans ce conglomérat de formes et de couleurs, existence organique, reconstruction synthétique, composition technologique se fondent en un système où chaque élément semble intégré aux autres ; une description presque idéale de la cybernétique, qui à travers les « processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques », constitue une « science de l’action orientée vers un but »4.
Et ce but semble bien nous concerner, nous exhortant, face à l’impasse de cette fenêtre aussi riche de signes et de symboles que condamnée à n’offrir aucune autre perspective que la contemplation d’artefacts abandonnés, à ne pas se laisser prendre au piège d’un labyrinthe dont la somme d’apparats et de clinquant constituent le seul paysage. À s’y plonger certes, jusqu’à en éprouver son reflet, à corps perdu, à larmes déployées, pour mieux s’en départir et, finalement, plus encore s’en échapper (« Escape more »).
1 « Cellule de performance », Maison d’Art Bernard Anthonioz, Nogent du 7 avril au 17 juillet 2022 — "Lire notre chronique ici"://slash-paris.com/critiques/cellule-de-performance-maba-nogent-sur-marne
2 Mimosa Echard, exposition Sporal, Palais de Tokyo, 2022 — "Lire notre chronique ici"://slash-paris.com/articles/mimosa-echard-palais-de-tokyo
3 Mimosa Echard avait à ce titre réalisé une exposition mémorable à la galerie Chantal Crousel autour de la plante Narcisse, jouant alors le rôle d’agent d’une immobilisation invitant à la contemplation (Numbs, du 5 mars au 17 avril 2021) — "Lire notre chronique ici"://slash-paris.com/articles/mimosa-echard-galerie-chantal-crousel
4 Définition de la cybernétique dans le Larousse