M.K. Abonnenc — A Minor Sense of Didacticism
A Minor Sense of Didacticism, c’est d’abord l’histoire d’un film qui manque. Qui manque à l’histoire, qui manque au cinéma. Tourné par Sarah Maldoror dans les années 1970 en Guinée-Bissau pour témoigner de la place des femmes et des enfants dans la lutte contre l’armée portugaise, le film Des fusils pour Banta est confisqué par l’armée algérienne qui l’avait financé et disparaît ensuite, ne laissant dans son sillon qu’un script, quelques clichés du tournage et des documents de travail. Face à cette rature de la mémoire et de la création cinématographique, Mathieu K. Abonnenc, recrée, à la manière d’un génial généalogiste, la présence forcément transformée d’une œuvre absente, bruyante de silence.
Le dispositif est simple ; une série de diapositives, une bande sonore et des voix qui s’entremêlent, qui racontent tour à tour le quotidien d’une communauté en guerre et la perspective née du rôle d’observateur. Sans autre indication qu’une affiche reprenant le titre du film, réalisée par les designers deValence — encore un pas de côté de l’artiste —, le spectateur est plongé dans ce récit décalé de la possibilité même d’un récit. On y raconte son sujet, on y raconte son tournage, on y raconte ses vies. Et chaque voix nouvelle vient redessiner une biographie vivace de la création. Car à ce jeu du décalage, Mathieu K. Abonnenc est passé maître ; chef d’orchestre d’une partition qui continue de s’écrire sous nos yeux, il signe avec cette exposition à plusieurs mains une véritable expérience du réel. Qui est le témoin et qui témoigne ? Au final, c’est tout le jeu du documentaire qui est questionné au travers de cette trace de l’absence que le dispositif permet à sa manière de redessiner, portant un nouveau regard sur l’histoire.
Car si Sarah Maldoror, dans Des fusils pour Banta, s’acharne à trouver les stigmates d’une guerre qui se joue en arrière-fond, basse continue d’un quotidien qui, malgré tout, résiste, l’œuvre de Mathieu K. Abonnenc, en se concentrant sur les discours et les
Abonnenc ne produit pas uniquement des œuvres, il œuvre pour la poursuite de la parole, pour sa mise en crise.
représentations de « l’autre » et en maintenant ce jeu du « léger décalage », impose une nouvelle lecture du réel, sans jamais cesser de résister. Abonnenc ne produit pas uniquement des œuvres, il œuvre pour la poursuite de la parole, pour sa mise en crise, à l’image des sérigraphies qui viennent, en contrepoint du diaporama, mêler le radicalisme formel d’un dessin minimaliste à la marque tangible du réel d’une photographie.
Avec A Minor Sense of Didacticism, Abonnenc rappelle l’impérieuse nécessité de convoquer de nouvelles formes de créations pour affronter les enjeux les plus brûlants de l’actualité et, par extension, de redonner son véritable sens au terme d’actualité, la mise en acte de notre histoire, de toutes nos histoires. Au rythme mécanique du défilement des diapositives, c’est toute l’urgence de remettre la mémoire à l’œuvre qui se découvre, l’urgence de faire de toutes ces mémoires une œuvre singulière, inédite.