Alain Séchas — MABA, Nogent
La MABA de Nogent accueille Alain Séchas, figure de l’art contemporain dont les chats peuplent depuis quelques années les plus grandes institutions françaises. À l’image de son créateur, le parcours se joue de la traditionnelle mise en scène des œuvres pour offrir une plongée douce-amère dans une autre temporalité.
« Exposition Ô Saisons, ô Chats ! », La MABA du 15 janvier au 5 avril 2020. En savoir plus Alain Séchas a toujours pratiqué une variation de l’inversion. Qu’il s’agisse des corps, des modèles, des valeurs ou des perspectives, son œuvre nous entraîne depuis le milieu des années 1980 de l’autre côté d’un miroir dont il déplace à l’envi la symbolique. Qu’il s’agisse de l’histoire de l’art en elle-même, des formes ou des attendus, sa sculpture et ses dessins font basculer le réel et la pensée dans un envers où les animaux sont « soi », les corps humains pieds-par-dessus tête et les objets prolongement de corps meurtris. Chaque œuvre devient prétexte à une mise en scène du grotesque, un éloge de l’absurde qui installe autant de fenêtres sur une morale espiègle dont les micro-narrations forment le corpus de maximes.Sans un mot bien sûr, à la manière de sa figure de chat, affublée d’un corps d’être humain fume (souvent) en silence avec la nonchalance d’un être parfaitement à sa place. Des chats qui, eux aussi, déjouent la figuration traditionnelle sans pour autant verser dans l’abstraction. Peuplant des paysages aux compositions et contrastes aussi minimaux que virtuoses, leurs silhouettes simplistes donnent un accès direct à la peinture qui brouille la question même d’une pratique artistique. Que dit en effet l’artiste lorsqu’il se prend à partager si intensément son œuvre qu’il use de techniques volontairement reproductibles pour ancrer plus encore ses images dans l’esprit de qui les regarde ?
Au long du parcours, la vivacité du trait tranche avec l’imposition de ces silhouettes qui viennent perturber la simplicité passionnante de ses fonds. Une forme de quiétude insolente se dégage de ces personnages. Contrebalancés à leur tour par deux compositions abstraites radicales comme sorties de nulle part. Un pied-de-nez qui se poursuit comme un écho aux fantômes de cette maison qui accueille les formes artistiques les plus diverses de deux siècles de peinture mouvementés.
Les fleurs, elles, renvoient à la nature jouxtant la maison, comme prisonnière derrière ces vitres qui nous dévoilent un paysage riche de paradoxes, sauvage et discipliné. De la légèreté des premières compositions on s’enfonce dans l’obscur avec des armes et une mise à nu du personnage pour retrouver une intimité plus affirmée et pas désagréable avec de très beaux tons semblant s’ « éthérer » dans l’espace.
En empruntant ainsi à Rimbaud le vers « Ô saisons ! Ô châteaux » pour y glisser subrepticement ses « chats », Alain Séchas s’empare de cet espace d’un autre temps, où la maison de maître règne sur un val qui pourrait bien accueillir quelque dormeur. C’est pourtant à une foule de chats bien vivants, jouissant langoureusement ou activement de leur temps libre que nous confronte Séchas, qui libéré dans tous les espaces d’expositions ses créatures qui sont autant de reflets de notre société qui, de toutes les contractions et fractures qu’elle peut expérimenter, n’en reste pas moins toujours traversée par cette suspension de temps du loisir, quels qu’ils soient. Ce sentiment doux-amer retrouve alors le Rimbaud d’un titre qui annonce la part d’ombre, la nécessaire gravité qui sourde dans ces scènes de bains léthargiques, ces stases méditatives rythmées par les variations de sujets, épiques, banals, naturalistes. Dans ce même poème, Rimbaud évoque cette même dépossession qui fait de l’exposition ici une forme de vie autonome : « Que comprendre à ma parole ? Il fait qu’elle fuie et vole ! »
Des pièges, des raccourcis et des détours pour partager plus encore un monde de fantaisie, de drôlerie et de simplicité qui, à la manière des yeux d’une des dernières toiles, nous interroge sur notre place même dans ce monde, dans ce lieu… Comme le partage d’un étonnement que son intimité puisse nous intéresser. « Vous ici ? » Nous, ici et maintenant face à Alain, ses chats, ses fleurs et nos doutes en commun.
La vanité devient alors chez Séchas un jeu du chat et de la souris qui nous mène, d’un chat l’autre, à la poursuite de questions dont on sait pourtant qu’elles resteront sans réponse. Tout comme la rose, le chat est sans pourquoi et ce voyage au cœur d’un monde peuplé de chimères qui nous miment continue, avec délice, de livrer sa fantaisie tout en protégeant ses secrets, qui ne sont rien d’autre que ceux que l’on n’ose s’avouer.