Bertrand Lavier, Giulietta, 1993 — Automobile accidentée
Musée d’art moderne et contemporain, Strasbourg © André Morin © Adagp, Paris 2010
Bertrand Lavier au centre Georges Pompidou
3 - Bravo
Critique
Critique
Le 1 novembre 2012 — Par P. B.-H.
« Bertrand Lavier », Centre Georges Pompidou du 26 septembre 2012 au 7 janvier 2013.
En savoir plus
Les « chantiers » de Lavier invitent à une révolution du regard. Le blanc d’Espagne, qu’étale sur les vitrines un peintre plâtrier, gagne, avec
Avenue Montaigne n°1 une majesté nouvelle. Un piano recouvert de sa propre image, noire, intense, aux touches « à la Van Gogh » emportées de peinture grasse, déjoue la littéralité du réalisme, piège la tradition figurative elle-même. La superposition d’une sculpture d’Alexander Calder sur un réfrigérateur Calder, renouant avec les lignes de l’art minimal, questionne l’articulation du lisible et du visible. On est au-delà du
ready-made duchampien ; Lavier « donne corps aux choses », en recueille la vie et, du prosaïque, fait saillir la grâce. Sur le cadavre du monde dansent, soclés, un casque,
un skate-board, un kayak, choses promises à une implacable désuétude et aussitôt transfigurées, memento mori que le temps vouera à la violence du dispositif muséal, à l’hébétude des foules. Des statuettes africaines, ensevelies dans le bronze nickelé et son clinquant qui miroite, côtoient cette archéologie du futur. Il en émerge un humour, qui serait comme le pendant de l’obsolescence. On s’amuse, donc, au fil d’une cinquantaine d’œuvres — peinture aux néons inspirée de Frank Stella ou nounours mué en antiquité — loin des gloses, des chronologies ou de tout souci de rationalisation. Rétrospective qui ne dit pas son nom, Bertrand Lavier, depuis 1969 joue de cette pluralité sans rien perdre de ce qui en constitue l’essence : la joie, le goût de l’expérience. L’éclat de rire est là, démultiplié dans les vibrations d’un Rothko ou dans la laque, encore vive, d’une Alfa Romeo sauvée du rebut.