Voici Paris, Modernités Photographiques au Centre Pompidou
« Oeuvre d’intérêt patrimonial majeur », La collection Bouqueret a rejoint depuis l’année dernière le fonds photographique du Centre Pompidou. De cette récente acquisition est tirée une exposition essentielle, riche d’images prises dans le Paris de l’entre-deux-guerres, signées Brassaï, Germaine Krull ou encore Man Ray. L’occasion de renouer avec la modernité du médium.
Sur les 7000 tirages acquis, une sélection de 300 épreuves constituent donc cet émouvant et dense panorama de la photographie moderne des années 1920 à 1950. Trois décennies fécondes sur plusieurs plans. Les années 20 voient en effet naître la conscience photographique, comme l’écrit en 1925 Laszlo Moholy-Nagy, artiste hongrois naturalisé américain, grand théoricien de la photographie, « Alors que la photographie existe depuis déjà plus d’un siècle, son évolution ne nous a permis que fort récemment de prendre conscience (…) de ses conséquences pour la création optique »1. Avec une clarté à toute épreuve, l’exposition a ainsi le grand mérite de nous plonger dans ce contexte de (re)découverte du médium et d’en faire un point de départ structurant. Aussi, la modernité naît-elle dans la réflexivité, dans la façon dont les photographes eux-mêmes considèrent l’invention photographique et se saisissent d’elle. Quentin Bajac, co-commissaire du parcours rappelle à travers l’essayiste Carlo Rim que la photographie a finalement été « inventée deux fois ». Daguerre d’abord, les modernes ensuite.
Voici Paris, Modernités Photographiques resserre ensuite la focale et se concentre au sein une magnifique section, sur l’effervescence d’une capitale relativement épargnée par la crise de 1929 qui rassemble les avant-gardes, venues d’Amérique, d’Allemagne, plus généralement d’Europe Centrale, ou encore d’Union Soviétique. Man Ray, s’installe à Paris en 1921, deux ans plus tard arrivent Kertesz, puis Germaine Krull en 1925, année qui voit également revenir Brassaï de ses voyages berlinois et hongrois. Et avec eux, évidemment, une nébuleuse de regards neufs. Paris fécondé par ces différentes cultures, hérite notamment de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) née en Allemagne et dont le rejeton polymorphe français s’appellera Nouvelle Vision. Solarisation, surimpression signent cette rupture du langage photographique. Ses représentants ; François Kollar, Pierre Boucher et Germaine Krull sont ici amplement et merveilleusement exposés. Passionnante étape dont la vie battante est pondérée par une partie consacrée à un austère retour à l’ordre. Car, ce n’est pas nouveau, la modernité effraie et réveille les arrière-gardes. Le courant des années 30 verra ainsi naître un adversaire idéologique baptisé néoclassicisme et dont les clichés s’attachent aux corps athlétiques et aux nus antiques visant à renouer avec la tradition.
Pensum habilement auréolé d’ironie par les commissaires qui ont préféré mettre l’accent sur les racines de l’humanisme nées au même moment avant de se développer tel qu’on le connaît au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le peuple de Paris s’affaire et s’organise autour des petits métiers. Cartier Bresson, Brassaï, parmi d’autres, camperont une vision sociale à la tristesse diffuse. Si l’on ajoute à ce parcours-somme le passage obligé et excitant du surréalisme montrant une Kiki de Montparnasse distordue et dénudée, sous l’oeil expérimental d’un Man Ray amoureux, l’extase n’est pas loin. Elle est même là.
1 Malerei, Fotografie, Film, 1925 de Laszlo Moholy-Nagy.