Par nature au 104
Passée la première installation anecdotique de Moataz Nasr, le parcours impose sa force. Il faut donc mettre de côté l’œuvre I am Free, escalier vertigineux au bout duquel les visiteurs, un par un, peuvent se faire tirer le portrait entouré de grandes ailes d’ange dessinées à même le mur destinées à prendre conscience de sa liberté, mais donnant surtout l’étrange impression d’avoir atterri par erreur dans un parc d’attractions. Plus loin, et par contraste, d’art il s’agira.
From Here to Ear, volière de Céleste Boursier-Mougenot saisit de plein fouet. La grâce d’une idée simple doublée d’une réalisation sans heurts fonctionne à merveille : une petite centaine de mandarins, oiseaux australiens au bec orangé volent en liberté autour du public et se posent sur des guitares électriques qui leur servent pour l’occasion de perchoirs. Réglées sur le mode de l’Open tuning, les cordes produisent des accords mélodieux et fusent sous l’impulsion de leurs becs et pâtes malhabiles, musiciens malgré eux. Face à ce concert animal, la projection anthropomorphique est inévitable, l’émotion immédiate. À première vue, on pense que le dispositif est là pour renvoyer l’homme face à la violente intrusion qu’il peut infliger à la nature. Fausse piste. L’artiste se sert en fait de cette mise en scène pour illustrer l’accident magique et de loin en loin la modernité artistique. À la manière des oiseaux qui en l’ignorant créent de l’harmonie, l’homme en tombant, expérimentant peut faire naître des ruptures heureuses. À y regarder de près, From Here to Ear sonne comme un hommage au rock résolument anti-académique. Tout aussi fort, dans une acception plus littérale de la nature, l’artiste autodidacte suisse Zimoun a placé un micro au-dessus de vers à bois. De ce monde souterrain et invisible, seul le son nous en parvient. Écho mystérieux agréable à l’oreille mais terriblement inquiétant car sans forme, sans représentation visuelle, sans sujet.
Loin du discours « pro » retour à la nature, brassant avec lui une vision schématique de l’homme corrompu par le progrès et la civilisation, le parcours place surtout le vivant et ainsi le mouvement au cœur de sa réflexion. Grouillante, mouvante, vivante, Par nature éveille et offre un décentrement bienvenu.