Cécile Beau — Maison des Arts de Malakoff
La Maison des arts de Malakoff accueille du 11 janvier au 11 mars l’exposition personnelle de Cécile Beau qui y installe une multitude de mondes, comme autant de propositions de réalités alternatives.
« Cécile Beau — la région vaporeuse », La maison des arts, centre d'art contemporain de Malakoff du 11 janvier au 11 mars 2018. En savoir plus Fortement empreint d’expériences et de réflexions scientifiques, l’œuvre de Cécile Beau se développe depuis une dizaine d’années sous forme de mises en perspective des temporalités à travers leur dévoilement. Créant une multitude d’événements physiques ou chimiques aux allures d’expérience de vie, elle interroge notre perception de la durée, du développement et, de fait, notre rapport au monde toujours singulier.C’est ainsi sous l’égide de la théorie des mondes multiples de Hugh Everett qu’elle a placé cette exposition. Arguant de la possibilité d’univers parallèles formés par une succession de divisions, il établit le principe théorique du monde tel qu’on le perçoit comme une simple modalité des multiples possibilités qui y coexistent. En d’autres termes, le monde que nous vivons serait voisin d’une multitude d’autres qui contiendraient chacun autant de versions possibles de ses habitants. Ces mondes alternatifs deviennent ainsi autant d’échappatoires à l’imaginaire pour inventer des contextes éloignés de notre propre condition que Cécile Beau explore à travers ses propositions.
La Région vaporeuse, titre de l’exposition issu de la locution employée à la Renaissance pour définir notre atmosphère se fait théâtre de possibilités nouvelles où les minéraux et végétaux sont autant d’habitants aux modes de vie complexes obéissant à de nouvelles lois. Dans cette confusion fertile de la science et de la fiction, le parcours débute par des cyanotypes figurant les thèmes astraux des collisions de météorites sur la terre. Hypothèse d’un univers dont les corps célestes communiqueraient à travers ses rejets, cette mise en place initiale du dédoublement poétique nous invite à lire le réel à travers une perspective ésotérique, ici employée dans sa forme cohérente de code systématique.
Au fond de la salle, des aquariums aux eaux sombres abritent des roches et végétaux qui semblent issus d’expériences scientifiques. À l’intérieur sont émis des sons produits par des astres qui, transformés par le contexte, sont restitués à l’aide d’un hydrophone. Point ici l’importance décisive du souffle, de ce mouvement imperceptible à l’œil nu, force symbolique d’une vie possible et mystérieuse. À leurs côtés, des tableaux sombres brouillent les repères et accentuent le doute quant à notre position dans l’espace. Cette même force qui sourd dans l’invisible, dans le non-événement est à l’œuvre dans une cavité creusée dans le mur. Semblable à une petite grotte de laquelle émerge un son troublant qui nous reste pourtant inaccessible, elle constitue un passage vers un autre monde, que l’on retrouvera à l’étage. Du plafond plongent des souches de bois comme des racines dont on ne découvrira la forme émergée qu’une fois les escaliers franchis.
Là, une sculpture à l’allure d’une arachnide végétale nous fait face, figée entre deux espaces. De figure inquiétante elle devient vestige immuable, pris au piège du temps entre deux dimensions. Racines fichées dans le sol, elle évoque également un univers végétal alternatif sauvage où les différents règnes se confondent. À ses pieds, une roche laisse échapper un son troublant. Surmontée d’une mousse qui s’y développe, elle émet une respiration rauque (obtenue à partir de la superposition de bruits de séisme et de la respiration d’une panthère) qui fait de cette présence un mélange des mondes minéraux, végétaux et animaux. Entre calme et tempête, le choc de strates profondes vient perturber le tranquille chaos de l’appareil respiratoire du vivant. Encore une fois, le souffle constitue un élément primordial dans cette mise en scène qui élabore une « biologie » utopique répondant pourtant à des codes et des signes familiers.
Deux dispositifs achèvent ce parcours. D’un côté, un appareil retransmet les sons obtenus par la plongée d’aspirine dans du liquide tandis que l’autre utilise la réversion pour faire d’un minerai le théâtre d’une apparition de cristaux d’argent à l’aide d’une solution spécifique. Deux tentatives aux allures d’expérimentation d’un autre temps. Les caissons, objets esthétiques à part entières deviennent des métaphores d’une alchimie possible de notre temps. La mutation des paradigmes scientifiques devient alors le motif de ce monde complexe où la communication, non-verbale procède par événement, perceptibles ou non, qui semblent indépendants mais sont pourtant intimement liés à la perception de chacun des visiteurs qui vient, à sa manière, troubler ce cette vie autonome.
En ce sens, la proposition de Cécile Beau à la Maison des arts de Malakoff touche indubitablement sa cible et investit chacun d’un pouvoir de compréhension et d’appropriation de ces univers possibles tout autant qu’elle parvient à rendre sensible la richesse temporelle de ces objets qui nous entourent, révélant la puissance poétique d’un temps qui ne se rapporte plus seulement à notre existence. Si le travail de l’artiste est passionnant et chaque pièce issue d’une réflexion profonde et nourrissante, la construction globale de l’exposition peine pourtant à dévoiler la notion d’envers et d’endroit évoquée dans son texte de présentation. On nourrit ainsi quelques regrets quant à la cohérence même de l’ensemble qui ne parvient pas, malgré un environnement propice, à ménager une ligne directrice claire qui aurait su mobiliser encore plus l’imaginaire et donner une direction commune à des pièces qui semblent, par moments, se succéder plus que participer d’un véritable dialogue. La narration se fait alors par à-coups et l’on parcourt l’exposition, d’une pièce l’autre, un peu interdit quant au sens d’un voyage qui n’en est pas pour autant dépourvu de promesses.