Cellule de performance — MABA, Nogent-sur-Marne
La Maison d’Art Bernard Anthonioz présente une exposition collective ambitieuse autour d’une notion qui fait écho aux attendus de la société contemporaine pour mieux y dessiner, à travers l’art, un chemin de traverse.
« Cellule de performance », La MABA du 7 avril au 17 juillet 2022. En savoir plus Empruntant au monde sportif professionnel le concept de « cellule de performance », cette instance permettant de cibler défauts et qualités d’une pratique individuelle et d’identifier les objectifs à atteindre pour améliorer leur efficacité, l’exposition anticipe son glissement contemporain et sa manière de régenter nos rapports sociaux. Engagée et sensible, la présentation collective embrasse la plastique polysémique d’une telle expression en questionnant la valeur de « l’efficacité » dans la possibilité de l’échange et, plus encore, l’architecture organique, la persévérance des cellules dans l’acte de création, leur manière d’inventer des relations inédites comme leur nécessaire union physiologique à l’altérité pour forger leur objet.De fait, chaque œuvre présentée déjoue l’exigence d’un vivre ensemble régi par la hiérarchie des classes sociales, la séparation aléatoire des activités professionnelles devenues marqueurs ontologiques d’individus séparés par la dérive de simples activités en déterminants artificiels identitaires.
Ici, à la manière de l’œuvre Zer0 Demo d’Endre Tot qui ouvre l’exposition, on invente les codes, on fait se frotter les rencontres, on féconde l’espace pour en voir s’agiter les différences. Ancrée dans une résistance bien concrète, ses pancartes de manifestation usant de simples zéros alignés apparemment inoffensifs réveillent la méfiance d’un pouvoir autoritaire immédiatement alerté par la simple réunion de corps, quel que soit leur objet commun, mais surtout la conscience d’autres amenés à voir dans ces symboles les espaces vides que leur liberté devrait remplir, que leur aspiration à l’émancipation pourront combler d’exigences.
Le collectif, l’effacement de l’auteur derrière l’acte initié devient ainsi le marqueur d’une pratique artistique d’une œuvre « posée là », pour reprendre les termes de la philosophie existentielle, avec une force intrinsèque dont le parcours de l’exposition parvient à réinventer la lecture ; elle s’éprouve bien plus qu’elle ne se mesure.
Ainsi les regards d’activistes militant contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires dans la ville de Bure capturés par le photographe Jurgen Nefzger, dont l’anonymat n’empêche pas pourtant de percevoir l’investissement humain, la mise en jeu de leur propre corps là encore pour constituer une poche de résistance. Résistance qui fait alors office de noyau, de principe d’unité à la cellule de résistance.
Le Grand Feutre polyphonique de Théophile Peris en constitue également un vibrant exemple, constitué initialement de matière de récupération, assemblé par l’association de plusieurs corps (nécessaires à la confection et manipulation d’un objet d’une telle ampleur), orné par la suite de gestes imaginés par d’autres et, enfin, mis en scène et « installé » en forme d’antre intime en écho à l’espace qui lui est ici dévolu. Présentée en vis-à-vis d’une vidéo relatant son processus de fabrication, l’œuvre se voit parée d’autant de caractères essentiels que de singularités l’ayant constituée, un tour de force aux allures de pied-de-nez à l’identification systématique des individus.
Le collectif devient le moteur et l’échange l’activateur d’une œuvre qui peut se construire dans le dialogue, dans la progression, tour à tour, de l’idée, jusqu’à résolution de son cercle final. Réagissant aux conditions de production en période de confinement, le collectif Ensayos propose une vidéo dont la fragilité technique contribue à l’installation d’une ambiance suspendue, où la gravité se conjugue à la légèreté pour appuyer le propos d’une remise en question de nos propres conditions de vie.
En épousant donc le collectif, en acceptant le jeu comme pratique essentielle de notre liberté, l’exposition Cellule de performance digresse avec bonheur autour d’une conquête possiblement heureuse de l’émancipation, agissant par exemple de concert avec d’autres, comme dans la « performance » de Gianni Pettena Wearable Chair pour installer dans l’espace de la ville une forme de hiatus perturbant la fonctionnalité de l’ordre public, de l’urbanisation rationnelle. Portée sur le dos comme une carapace, la chaise de l’artiste constitue une possibilité de ménager un lieu d’intimité, d’échange et de rencontre en brisant la logique d’un temps mesuré par la distance parcourue et s’offrant la possibilité d’une suspension à tout instant souhaitable de la marche insatiable.
Comme un prolongement de cette pause des horloges et des contraintes, c’est dans le temps long que s’éprouve la dernière pièce du parcours, la vidéo de Mimosa Echard qui combine sur deux heures entières des flux d’images issus de ses archives personnelles. La bande sonore, constituée d’une boucle de musique électronique infatigable fait un sort à toute tentation d’efficacité narrative. On se plonge dans ces déluges d’images comme dans une boucle, se laissant porter, à travers les paysages identifiables des Cévennes comme à travers les espaces d’une maison familiale et de scènes quotidiennes dans une nuée de souvenirs qui dépassent la conscience qui les éprouvent. En continu, chaque plan devient, par la force du hasard de la captation et la nécessité du dispositif mis en place, une image mentale qui fait écho aux siennes propres, distillant au sein d’une normalité assumée la formidable contradiction de l’onirisme, la rêverie plastique d’un réel toujours capable de se métamorphoser.
En ce sens, Cellule de performance déjoue son objet éponyme et compose une inversion radicale de son ordre des valeurs. En lieu et place d’une association de talents (coachs, psychologues, préparateurs mentaux) réunis financièrement autour d’un projet de valorisation de la pratique d’un sportif visant à améliorer son efficacité, c’est précisément cette association, cette possibilité d’être en commun sans l’intermédiaire d’un tiers qui apparait comme la fin de la pratique du talent artistique. Cette possibilité de faire, au-delà des communautés, des affinités, des conditionnements sociétaux, « avec », d’offrir une efficace de l’agir qui, dans son expression, suppose un magnétisme invitant à la pluralité, ménageant l’espace nécessaire pour laisser l’autre s’y exprimer.
Pour aboutir à l’invention d’un acte de création assez sûr de lui, en un certain sens, pour être capable de confier son développement à l’autre, de reconnaître l’impossibilité de sa conformation absolue au concept de départ comme finalité propre mais assumant la part d’aléatoire de son déploiement dans le monde, sa nécessaire confrontation et transformation par l’autre comme condition même de sa possibilité et, partant, comme but avoué de sa réalisation.