La vie invisible — CPIF, Pontault-Combault
Epuisée par des années de dictature et d’ordre moral édifié sous l’égide d’une religion omniprésente, la place des femmes dans l’imagerie populaire portugaise se borne, déplore la commissaire d’exposition, bien souvent au rôle de génitrice, victime d’un patriarcat qui réduit leur champ d’action autant que leur accès à la création. Le Centre photographique d’Ile-de-France de Pontault-Combault présente La vie invisible, une exposition collective regroupant le travail de douze artistes portugaises qui, chacune à sa manière, participe au dévoilement d’une scène riche et féconde, encore méconnue.
« La vie invisible — 12 artistes », CPIF — Centre photographique d’Ile-de-France du 23 avril au 17 juillet 2022. En savoir plus Alors, quand Ção Pestana conjugue dans les années 1980 à sa pratique de la performance à une remise en cause de son statut de corps reproducteur dans une vidéo et des photographies de performance visibles en début de parcours, l’opinion, autant que les institutions, démontrent leur capacité à obscurcir toute production artistique engagée ou simplement libérée des attendus du beau. C’est cette vie invisible qui parcourt, sur des plans aussi multiples qu’invariablement saisissants, cette présentation vivante qui met en lumière la scène nationale portugaise sans omettre la part d’ombre qu’elle contribuera, on l’espère, à soulever.Radicale, explosive, minimale, intimiste ou narrative, la démarche de chacune des femmes présentées ici, sélectionnées pour la qualité de leur travail plus que par le succès commercial de leur œuvre, fait résonner un champ précieux de la création en nous entraînant à leur suite dans de singuliers parcours de vies qui se traduisent par leurs œuvres. De la mise en scène de soi de Rita Barros avec la très belle série, sobre, frontale et pourtant pleine d’une force mélancolique faite d’abnégation et de défi (The Last Cigarette, 2004) à la révélation du symptôme incarné, par l’image, d’une alopécie en développement de Rita Castro Neves en passant par les broderies faussement naïves de Julia Ventura, entretenant l’illusion d’un art dédié à sa seule vertu décorative et reproductive, la première partie de l’exposition ausculte les modalités d’une représentation subjective. Plurielle et inventive, celle-ci semble embrasse tour à tour les codes de la féminité, de la « bonne tenue », pour s’en aller ailleurs détourner l’attention vers une forme de hiatus entre la dynamique de la vie de chacune des artistes et la sclérose des images qui en sont attendues. Des icônes glaçantes qui reflétaient leur seul horizon, chacune oppose une force personnelle qui excède le seul combat féministe pour toucher à une revendication de l’individu en lui-même, nécessitant cependant dans ce cas un courage d’autant plus grand qu’il est inédit.
Car la femme elle-même demeure un objet de représentation ambigu, sujet passionnant d’étude ici tant chaque artiste s’attaque, dans une seconde partie de l’exposition, à en réinventer l’image. Opérant la transition entre l’autoportrait et la mise en scène de l’autre, Ana Janeiro réinterprète des photographies anonymes et leur confère une valeur suggestive nouvelle. De même, Barbara Fonte use de sa propre personne pour harnacher au corps féminin les attributs rituels d’un paganisme bien souvent tourné vers une glorification sans ambages de la masculinité, lorsqu’il ne criminalise pas directement les femmes qui s’en emparent. Derrière la relégation de sa place, la femme s’efface et, qu’il s’agisse de soi comme des autres, émerge dans la pratique mise en œuvre ici une même attention à la mise en valeur, sans volonté hiérarchique, sans l’écraser sous le poids du symbole, du corps des femmes. À ce titre, Brigita Mendes, jouant sur les temporalités du médium photographie, les styles et époques historiques, compose des scènes saisissantes de simplicité dont la fragilité des sujets contribue à l’intensité d’une lutte contre la réduction de la femme au simple fantôme domestique.
Sans céder au désir d’icônes, sans ériger artificiellement une communauté des postures ou une lutte univoque, la commissaire d’exposition Raquel Guerra réussit avec La vie invisible une exposition aussi engagée qu’engageant à une véritable curiosité à l’égard de travaux pluriels, portant tout aussi bien l’identification des luttes que la contradiction des résistances, faisant vivre pleinement, sous nos yeux, divers angles d’une création qui gagne à être découverte.
La vie invisible alors, qu’elle l’assume, la cherche ou s’en défende, apparaît au cours de cette très belle présentation comme un horizon dont il nous appartient d’envisager et de considérer l’importance, en amont, de la perspective depuis laquelle il est perçu.