Virginie Yassef, Dogs Dream — Galerie GP & N Vallois
Particulièrement ambitieuse, cette présentation de Virginie Yassef investit l’espace de la galerie GP & N Vallois et perturbe le cheminement du visiteur pour le plonger dans un décor à vivre qui brise les lignes, sature l’atmosphère d’une brume artificielle et instille le doute quant à l’accumulation de ses matières.
« Virginie Yassef — Dogs Dream », Galerie G-P & N Vallois du 1 avril au 28 mai 2022. En savoir plus Jouant avec dérision de leur nature factice, les matériaux employés par l’artiste se combinent en clins d’œil à notre imaginaire, comme posant pour préalable notre adhésion aux règles tacites d’une partie déjà ancrée dans une réalité parallèle. C’est qu’un jeu a des règles que Virginie Yassef, dans son œuvre, élabore en les tenant secrètes, imposant en sous-main une logique qu’il nous appartient de décoder ou, au contraire, d’embrasser pour mieux se laisser voguer sur son cours. Si elle n’hésite pas en effet à invoquer l’imaginaire du jeu d’enfant comme point de départ de son travail, c’est tout autant le cheminement pour élaborer des pièces qui, activant l’imaginaire, deviennent des preuves tangibles de son efficience, de l’existence, sur le plan réel, de sa manifestation.Le voyage se partage ici avec le règne animal, ou plutôt la fantaisie possible d’un imaginaire animal dépouillé de tendances rationalistes positivistes. La possibilité d’un « autre » radical se mue pourtant bien vite en un alter ego probable, mélangeant sens et sentiments sans autre logique que celle de l’accumulation, abandonnant toute tentation de synthèse qui ne serait qu’une application anthropomorphique.
Alors la possibilité du geste, les structures de bois factice comme autant de terrains d’exploitation possible du mouvement, les barrières qu’elles érigent, les contritions qu’elles exigent, la fantaisie enfin, l’impossible matérialisé, le brouillard rejoué, la lévitation exprimée forment une liste infinie d’événements qui sont autant de décalages que de fragments du réel. Ils apparaissent comme autant de dimensions du rêve qui s’additionnent et se multiplient, suivent un chemin sensitif qui se reflète dans l’espace plutôt qu’il ne se réduit à l’espèce.
Ainsi du chien qui donne son titre à l’exposition est-on projeté dans le mystère de la toile d’araignée, celle qui est à l’origine de sa forêt de poutres, l’interprétation par Akira Kurosawa, dans Le Château de l’araignée d’un autre jeu, théâtral celui-là, de Macbeth. Une double mise en suspens de la ligne narrative de l’exposition qui achève de nous y impliquer et intègre les peurs, les pulsions de mort et de pouvoir de notre humanité à cette cosmologie imaginée où chacun, homme, animal, spectre et enfant se mesurent à leur volonté de se mettre en jeu.
Car il s’agit toujours, avec Virginie Yassef, d’entrer dans des décors comme on découvre des histoires, de rencontrer des éléments qui sont autant de personnages, acteurs silencieux et impassibles d’une pièce à activer. Si alors Dogs Dream se présente volontairement « sous la forme d’une énigme à ne pas résoudre » c’est que l’énigme même est à embrasser comme une modalité de vie, une somme d’impossibilités, d’aberrations apparentes et indémêlables dont l’acceptation pourrait bien être le premier moteur d’une existence qui se joue dans notre capacité à la surmonter.
Délicieusement parasité, le message se module à mesure de la pratique de l’espace, comme les règles d’un jeu d’enfant évoluent à la faveur des réussites et défaites de ses participants, s’épuisant en règle général par l’absurde (“et on dirait que tout le monde est le chat”) comme pour amener un certain désir de justice si l’un ne perd jamais, rééquilibrant les forces en présence sans pour autant manquer de faire naître une amertume que sonne la fin de partie. Le piège de l’exposition se referme et, de la prison que semblaient ériger ces poutres, ces structures, le besoin de s’y enfermer à nouveau renaît invariablement.
Toute résonance, bien entendue, avec la condition humaine, d’aujourd’hui comme d’hier, entre dans cette logique de « coïncidence », au sens propre du terme. Chaque effet, chaque acte, chaque affect et chaque idée influe à part égale sur un champ « horizontalisé » d’une perception du monde qui déjoue, en actes, les dichotomies d’une rationalité qui s’illustre elle, dans toute son artificielle prétention.