Désolé — Galerie Edouard-Manet, Gennevilliers
La Galerie Edouard-Manet de Gennevilliers présente Désolé, une exposition collective imaginée par l’artiste Mohamed Bourouissa qui, à rebours des attendus d’une présentation donnant une perspective, un biais de lecture à des œuvres qui la dépassent, fait l’éloge du flou et de l’indifférenciation.
« Désolé — Un commissariat de Mohamed Bourouissa », Galerie Edouard-Manet de Gennevilliers du 3 octobre au 14 décembre 2019. En savoir plus Mais cet abandon d’ambition fédératrice ou, à tout le moins, capable de dessiner un sens univoque, une problématique explicitement articulée constitue précisément la matrice d’une présentation débarrassée de soif d’auto-justification. Un « Désolé » lancé à la volée comme l’exclamation d’un pas pressé qui nous a déjà dépassés. À la force plastique, à l’audace des formes, au courage du « faire » finalement, Mohamed Bourouissa monte une exposition qui, si elle résulte de nombreux choix, contre-propositions et réflexions, opère néanmoins dans l’espace une imposition de matériaux, de sons et de tons qui fuient la bienséance et le beau traditionnellement attendus pour inventer sa propre forme de création, de rendu d’un monde dont la perception, dont la place qu’occupe ces artistes est moteur d’une création qui ne fantasme plus l’universel.Si l’on peut être plus ou moins sensibles à certaines œuvres, être par exemple déçu par le maniérisme précieux d’un Julien Creuzet qui déclame un poème pétri de mots échos à des pensées qui s’y trouvent perdues et arasées ; si le parti de l’immédiateté de la vidéo Le Toit de Rayane Mcirdi, reprenant un épisode d’ « émeute » en quartier sensible racontée par un de ses participants revendiqués peine, à défaut de marquer l’esprit, à offrir un biais de réflexion nouvelle sur une triste réalité, si le texte de Martha Kirszenbaum enfin, apparaît, dans sa forme éculée et son fond pas assez riche pour la dépasser, légèrement hors-sol, ces dissonnances à nos yeux sont loin de réduire l’intérêt de l’exposition. Elles soulignent justement sa capacité empathique à intégrer à elle toutes les différences.
Car c’est précisément dans cette rencontre et ce mélange de propositions, unies à travers le regard d’un artiste qui prend le parti de ne pas, lui, exposer, que se crée indéniablement un souffle qu’il est heureux de ne pas voir ici caractérisé. Tout au plus esquissé. Et pour la meilleure des raisons, laissant transparaître les luttes analogues d’artistes confrontés à la question de leur identité ou attendus et observés par son prisme au sein de leur propre démarche créative. Qu’il s’agisse alors d’un outil, d’un moteur, d’un fait ou d’un frein, sa prégnance dans le regard des autres, de tous les autres, est ainsi urgente à questionner. À l’image du superbe tableau de Henry Taylor, qui retourne tous les doutes avant même qu’ils ne soient formulés, Victor M. Brown, This is not a Mug Shot.
La réunion d’autant d’œuvres frontales par un artiste lui-même responsable d’une œuvre qui n’a rien de fuyant fait ainsi émerger une myriade d’identités qui se construisent par échos, par problématiques jumelles et toujours uniques, par subjectivités liées dans leur singularité et dans les miroirs que tend une société qui met à l’épreuve. Dans l’épreuve, justement, de l’altérité, loin des communautés, les identités se retrouvent ici autour de notions qui les subsument, à l’image de cette présence de l’extra-terrestre chez Sara Sadik, altérité absolue qui unit pourtant, dans sa large acception, tout individu. À l’épreuve des codes également avec les œuvres de Neïl Beloufa rendues au statut de mobilier d’accueil de perception de vidéos d’autres, intégrant sans autre forme de procès, dans l’espace, un ensemble de matériel fort d’une identité artistique qui reste, pour beaucoup, à découvrir. De l’au-delà enfin avec les bâches terribles de Gaëlle Choisne, linceuls souillés de marques obscures, cigarettes, alcools, couvertures de survie ou enveloppes de morts qui s’étalent de toute leur pesanteur dans l’espace. Tout sentiment, naïf ou raisonné, définitif ou passager, peut ainsi s’y retrouver, se mêler aux volutes d’une colle filée qui esquisse la cartographie de drames humains, mais aussi des idées qu’on s’en fait.
À l’image donc de vies qui se dessinent autant qu’elles œuvrent à dessiner le monde, les liens sous-jacents que révèle l’exposition entre ces pratiques, marquées par le sceau d’une place à ménager, à chercher plutôt qu’à revendiquer dépassent largement la simple perspective d’un abandon ou renversement des valeurs. Au sein de la pluralité des travaux, les valeurs sont immanquablement évidentes, elles sont urgentes et, en tant qu’elles font montre de son inaltérable plasticité, font partie des seules légitimes à évoquer l’identité.