Vincent Hawkins — L’ahah Moret
L’ahah présente jusqu’au 14 décembre une exposition de Vincent Hawkins, artiste anglais singulier dont l’œuvre explore la simplicité et l’humilité face aux formes du monde, de sa beauté essentielle à ses rebuts invisibles.
« Vincent Hawkins — Growing A Soul », L'ahah Moret du 16 octobre au 14 décembre 2019. En savoir plus Le souci de la réduction a toujours été au cœur du travail de peintre de Vincent Hawkins qui, le paradoxe n’est pas mince, de la toile pourtant, étend sa création à l’espace de l’atelier et de monstration, accumulant les rognures, restes et autres restes porteurs de traces de ses précédentes interventions. La « spontanéité », l’aspect « modeste » le frappent alors d’une terrible évidence ; cette économie de moyens, nécessaire pour lui en terme de production, l’encourage à user d’éléments simples (imprimés divers, cartons, etc.) qu’un remontage, un assemblage parent des attraits de « constructions », comme il les nomme, « à mi-chemin entre peinture, dessin et sculpture ». Non dénuée d’humour, cette réduction à l’essentiel fait, par signes et par échos inattendus, naître immanquablement le sourire, la joie simple et réjouissante d’un tour de passe-passe qui opère ; qui de l’artiste, du mur ou de l’espace peut bien avoir fait naître ces étranges créatures ? Cet humour coïncide ainsi avec les titres des pièces qui mélangent généralement jeux de mots et descriptions cliniques, tout en retenue, de phénomènes visibles sur les œuvres qui prennent une distance et un sérieux foncièrement grotesque (« Forme plate sur le point d’entrer par la gauche », « Point de rencontre », par exemple).Pour cette exposition à l’ahah, Hawkins fait le choix d’une épure radicale qui offre une présentation aérée où les toiles, autonomes, se lisent également dans un dialogue espiègle où pliures, teintes et lignes se répondent ou s’opposent, mélangeant les volumes aux nuances de peintures marquées par les plis initiaux. Derrière l’abstraction radicale de ses formes, c’est une fragilité délicate qui ressort de compositions qui envahissent l’espace avec une cohérence évidente. Pensé par l’artiste exclusivement pour cet espace, l’accrochage impose un faux-rythme qui, derrière son apparente humilité, joue la vivacité, la réflexion et l’humour. Faisant évoluer ses formes minimales au gré des envies, Hawkins ouvre largement ses volumes pour finir, dans une lecture de gauche à droite, sur un repli presque organique de ces pétales minimaux qui nous projettent vers le passage d’une journée métaphorique, faite de ses rencontres, de ses accidents et de ses arrangements. Le titre même de l’exposition, Growing a Soul, insiste sur cette progression quasi-organique d’une matière éthérée. Au long des cimaises, par touches minimes, Vincent Hawkins souligne et suit la progression du regard en ajoutant sur les coins des éléments qui couvrent les angles, œuvres sœurs de ces formes en étrange équilibre.
C’est précisément la somme de ces fragilités, ces « instabilités » qui, s’accumulant, font de l’espace la toile première, suspendue, la condition d’apparition de l’œuvre qui, dans cette pluralité faite de motifs aléatoires, de poursuites de lignes imaginaires, témoignent d’un certain art de l’effleurement. L’ordre des pièces est aussi pensé qu’il paraît évident ; détaché de toute volonté de représentation, les matériaux de « fortune » (toiles peintes, feuilles de papier neutres, morceaux de cartons) et leurs couleurs fauves nous disent quelque chose du temps qui passe, de la capacité qu’a l’œil à se réapproprier les éléments qui l’entourent pour y cerner formes et teintes à même de construire sa propre harmonie. Il ressort ainsi de cette présentation une réjouissante bivalence où modestie et radicalité s’imposent en douceur, se rejoignent avec une force inattendue qui fait tenir ces formes dans une gravité sourde.
Cette liberté, cette invention et cette modestie rendent le minimalisme de Vincent Hawkins hautement corrosif à l’ère d’un tout-à-l’image volontairement désarçonné par les approximations, les défauts, les accidents et les équilibres précaires.
Une harmonie singulière donc, qui déjoue les signes traditionnels pour composer sa propre musique, inventer une dynamique des courbes et des angles qui, si elle fait montre d’une certaine unité, parvient à se mouvoir au gré des rencontres que la matière elle-même fait avec l’artiste et, par extension, avec nous.