Dora Maar — Centre Pompidou
Le Centre Pompidou présente une grande rétrospective de la photographe et peintre Dora Maar, qui aura accompagné, à travers une force de création inégale mais toujours intense, l’art de son temps. Convaincant, mais pas totalement subjuguant.
« Dora Maar », Centre Georges Pompidou du 5 juin au 29 juillet 2019. En savoir plus Dense, cette exposition est un monument d’informations qui parvient à départir Dora Maar de l’image de muse de Picasso à laquelle l’histoire des expositions avait tendance à la réduire. Révélant sa capacité à inventer des formes, ce parcours réussit le pari de remettre au premier plan la démarche d’une photographe de son temps qui, dès ses premiers travaux photographiques (Dora Maar publie sa première photographie à l’âge de 23 ans), témoigne d’un regard personnel qui l’amènera à s’émanciper autour des avant-gardes.Une garantie ici d’abord biographique puisque, si l’exposition ne manque pas de révéler l’intérêt de Dora Maar pour ses sujets, les premières photographies de rue, qui la passionnent, sont loin de toutes se démarquer et l’on peut parfois s’ennuyer dans cette litanie de visages qui, si l’on ne doute pas de l’engagement de l’artiste, ne constituent pas un corpus indépassable de la chronique photographique.
Véritable cœur battant d’une exposition dense, la section surréaliste justifie en revanche les œuvres plus faibles qui émaillent le parcours. Sans complaisance feinte, le Centre Pompidou propose là un regard exhaustif sur une artiste dont certains traits émaillent avec une actualité convaincante ce parcours. D’abord son engagement autour des violences d’extrême-droite, avec une forme d’inquiétude face à la montée du fascisme, qui se traduit formellement par des compositions à la quiétude toute relative. Personnages et décors deviennent monstres, figures inquiétantes d’une humanité qui ne se définit plus par son apparence mais par ses mutations probables, son aspect fuyant. Mais aussi la frontière, forcément complexe et ambiguë, du corps féminin dans la photographie publicitaire et l’art d’un temps de transformation technique et plastique. Intenses, les courbes féminines s’affirment sans pudeur et le regard s’attaque aux lignes avec une simplicité éloquente tout autant qu’un goût de la mise en scène néo-classique dont le charme suranné n’est pas sans déplaire. Le buste féminin entre dans le moule de l’icône, la féminité dépasse les limites du corps et la sensualité, l’érotisme se mue en une réactualisation d’un onirisme orphique.
La figure de Picasso, si elle est présente dans cette rétrospective, intervient bien plutôt du côté de l’artiste qui, n’étant plus réduite au rôle de modèle ou muse, devient une partenaire active, aventureuse et vivante qui se nourrit elle aussi des passions du maître. S’ouvre alors une section de peinture à laquelle elle s’adonne avec une assurance solide qui confère à ses paysages un charme certain, en particulier sur les petits formats, même si l’on ne retrouve pas ici le génie de cadrage et d’invention loufoque, les paradoxes d’une pesanteur divine et gracieuse que ses images pouvaient receler. De même avec les dernières œuvres de l’exposition, qui ont plus valeur d’expérimentations ; si elles prouvent son insatiable appétit de création, elles peinent à convaincre résolument dans leur accumulation.
Avec cette rétrospective, le Centre Pompidou offre ainsi une exposition salutaire, nécessaire et plus que complète qui rétablit une certaine forme d’amnésie qui, dans son désir d’exhaustivité, ne cache pas certaines limites dans la démarche d’une artiste qu’il était toutefois urgent de découvrir dans toute sa complexité.