Harun Farocki, Parallele — Galerie Thaddaeus Ropac, Marais
Documentariste, vidéaste, professeur à Berkeley et Harvard, Harun Farocki théorise le statut de l’image d’aussi loin qu’il s’en souvienne. Ses vidéos projetées au Jeu de Paume en 2009 rappelaient l’importance qu’ont eu ses travaux sur le film politique (Les Mots du Président ou encore Entre deux guerres). Le réalisateur allemand d’origine tchèque revient, à près de 70 ans, pour une quatrième exposition à la galerie Thaddaeus Ropac évoquant en quatre volets, les jeux vidéos et l’infographie. Une réflexion qui meut et bouscule les repères cognitifs de l’esprit.
« Harun Farocki — Parallele », Galerie Thaddaeus Ropac Marais du 15 janvier au 15 février 2014. En savoir plus En quatre volets, Harun Farocki amuse, sans être pour autant avare en réflexion. Il le dit lui-même, tout le monde peut regarder ses films. Nul besoin d’être spécialiste pour s’y immerger. D’autant qu’il choisit ici de s’atteler à un univers a priori populaire, loisir de masse : le jeu vidéo, et plus généralement l’animation. Pour s’y plonger autant que nous y plonger, il amorce le parcours avec une histoire de l’infographie, pointant du doigt l’immense disparité de traitement de la représentation du réel des années 80 à aujourd’hui. De deux vecteurs qui généraient d’énormes pixels, les jeux ont peu à peu revêtu un réalisme saisissant qui n’a rien à envier à l’industrie cinématographique.Les deux autres films qui y font suite mettent en lumière la création de mondes animés dont le pouvoir démiurgique des programmateurs et scénaristes est sans limite. Ou plutôt limités par leur seule imagination. Hétérotopies, espaces imaginaires, les démiurges contemporains convient les « gamers » à la toute puissance de parcourir un univers qui n’existe nulle part ailleurs que devant leurs yeux. Plus que la question du virtuel, Farocki semble nous guider sur la piste du « parallèle ». Ce qui est parallèle est sans intersection. C’est dans ce sens qu’il soulève dans un souffle philosophique cette belle question : « Est-ce que le monde existe si je ne le regarde pas ? » Tout l’enjeu de la récente recherche de Farocki se situe dans cette interrogation.
À la fin du parcours, avec le quatrième et dernier film Parallele IV, le vidéaste semble vouloir provoquer le sourire du regardeur avec un passage d’une absurdité sans commune mesure. Une femme se fait braquer, on la voit donc sortir de son magasin. Puis, à voir son air détendu quand elle y revient, on comprend qu’elle a parfaitement oublié ce qui lui arrive et qu’un homme l’attend, fusil à l’épaule. La scène se reproduit à plusieurs reprises, décuplant le caractère hilarant de la situation. Cette mise en scène de l’amnésie est-elle faite pour rappeler l’instantanéité des jeux vidéos dont l’unité de temps reste par définition l’action, comparant alors les personnages à des poissons rouges, uniquement mus dans le présent ? Cette vidéo nous place en tout cas dans un état halluciné, où l’esprit tente de trouver des repères dans une réalité technologique avec ses normes et ses lois bien à elle et renvoyant en creux à la question soulevée par cette exposition : comment les images fabriquées à l’aide des nouvelles technologies influencent-elles nos consciences ? La question, sans doute, importe plus que la réponse.