Hideyuki Ishibashi — Galerie Thierry Bigaignon
Avec sa série Présage, exposée en partie à la galerie Thierry Bigaignon, l’artiste japonais s’est aventuré dans la mémoire de ses rêves, à travers des images mystérieuses, fruits d’une archéologie poétique.
« Hideyuki Ishibashi — Présage », Galerie Bigaignon du 14 novembre au 21 décembre 2019. En savoir plus Au réveil, nos rêves nous apparaissent sous un jour fragmentaire. Des flashs composent un récit incomplet et illogique, parsemé d’ellipses. Malgré nos efforts pour combler les manques, nous finissons par nous avouer vaincus, acceptant avec frustration l’étrange sentiment d’une absence impossible à chasser. La démarche artistique d’Hideyuki Ishibashi rejoue ce phénomène. Chaque matin pendant 23 jours, l’artiste japonais a dessiné le souvenir de son rêve. Puis, sur les marchés aux puces, sur Internet, il est parti en quête de photographies et cartes postales qui ressemblaient à ses dessins. Une fois découpés, assemblés, collés, ces fragments d’images anonymes forment petit à petit une nouvelle image unique, à mi-chemin entre le dessin et la photographie. Toute trace de rupture semble avoir disparu. Baigné dans une illusion similaire à celle qui nous fait croire à la réalité au moment de rêver, le spectateur ne soupçonne pas les différentes strates de réalités et de temporalités que chaque image dissimule. Seul le collage, accroché à côté de l’image finale associée, à l’entrée de la galerie (souvent soucieuse de dévoiler le processus créatif de l’artiste qu’elle présente) nous met sur la piste d’une reconstitution.En présentant 13 œuvres de cette série intitulée Présage réalisée en 2014, la galerie Thierry Bigaignon propose un voyage onirique dans l’inconscient de l’artiste mais aussi, en creux, dans les vies des personnes liées aux images récoltées. Des images qui évoqueront peut-être aux spectateurs d’autres images encore, déjà vues, déjà vécues, déjà rêvées, nourrissant un jeu de résonances infini. Trois individus de dos arpentent une forêt, un homme n’a qu’un œil et nous regarde, des débris s’amoncellent devant des maisons en arrière-plan, une ombre semble avancer vers nous… En noir et blanc, sombres, mystérieuses, brumeuses, ces images de petits formats sont comme les empreintes de scènes venues d’un autre temps, ni passé, ni futur, flottant dans un gigantesque palimpseste imaginaire. Nous les contemplons avec cette « croyance implicitement magique » qu’évoquait Susan Sontag. Selon l’essayiste américaine, les photographies sont des « tentatives pour entrer en contact avec une autre réalité et se prévaloir de droits sur elle » (Sur la photographie, 1977). À l’ère digitale, Hideyuki Ishibashi, né en 1986, s’intéresse lui aussi à l’omniprésence des images. Selon lui, venant de tous horizons, elles s’imitent entre elles. Nous voyons le monde à partir d’images que nous avons en tête et que nous projetons sur le réel tangible, de la même façon qu’un rêve convoque les images perçues dans la journée ou dans notre enfance. Rendant fébrile l’idée que nous nous faisons de notre perception du réel, cette exposition en appelle à cette croyance tapie en chacun de nous.
Les présages d’Hideyuki Ishibashi suggèrent qu’il est impossible de déjouer la magie du rêve. Malgré son travail de reconstitution, telle une archéologie poétique, le rêve continue d’échapper à l’artiste. Les photographies continuent de se révéler comme marques d’une absence. Elles ne disent pas tout, et tant mieux.