Mona Hatoum — Galerie Chantal Crousel
Mona Hatoum, qui vient d’être sacrée par le prestigieux Prix Praemium Imperiale, présente à la galerie Chantal Crousel une exposition d’œuvres inédites et une installation immersive au cœur de son travail.
« Mona Hatoum », Galerie Chantal Crousel du 12 octobre au 21 décembre 2019. En savoir plus Vestiges vibrants d’une humanité déchirée par les guerres, de territoires arrachés à la propriété par la force, le monde de Mona Hatoum rend une triste justice à l’humanité. Dans la beauté du manque, les restes soutiennent des formes qui, loin de dicter leur sens, déploient un faisceau d’interprétations émotionnelles qui imposent leur gravité. Derrière les vides qui les remplissent, derrière l’espace qui se fait jour à travers leur structure, c’est toute la pesanteur d’une altération qui vibre dans l’enceinte de la galerie. Comme autant d’aimants à la perception, les sculptures magnétisent le regard pour le recouvrir du voile de la terrible cruauté des violences qui s’emparent de nos paysages, de nos habitats. Trois sphères et un mobile appuient cette idée d’un mouvement du monde, lui-même représenté ici par un de ses fameux planisphères dont la lumière rouge, si elle enveloppe de sa chaleur l’ensemble de la pièce, ne cache en rien la nature incandescente de son action. Alentour, deux sphères d’une toute autre nature se partagent l’espace : la première, creuse et tenant autour de sa structure d’une mèche de fer des amas de matière qui apparaissent comme autant de planètes dans une représentation d’un système solaire. L’autre pleine d’une matière organique qui semble bruiter d’une tension sous-jacente. Plein et vide deviennent deux faces d’une même force qui fait se rejoindre, dans la sobriété de la présentation, les paradoxes.Partout il est question de feu, d’évaporation, de destruction mais aussi de vie, d’intensité et de pouvoir de résistance. Cette bivalence apparaît plus que jamais comme un écho à l’utilisation constante et souvent concomitante de la grille et de la sphère par l’artiste. La dualité, qu’elle concède volontiers figurer partout dans son travail continue ici de structurer des œuvres qui portent en elles les sombres traces de conflits comme les espoirs lumineux de rencontres possibles avec l’idée, avec la différence mais aussi la libération de jougs nombreux. Affrontements, guerres, discriminations de genre, discriminations d’origine sont autant de réalités auxquelles se confrontent l’artiste en y opposant une création qui les draine vers son propre monde, en lutte mais également en joie.
Dans une seconde partie, l’intériorité du corps, les entrailles, motif récurrent dans son œuvre rejoint ainsi une intériorité plus circonstanciée, une plongée dans les notes et multiples réalisations de l’artiste durant son séjour à San Paolo en 2014, nous ouvrant là ses archives avec une belle simplicité qui témoigne de la vivacité et de la profusion d’un travail qui se décline sous autant de formes que les moyens le permettent. L’installation, éclectique et disparate parvient toutefois à faire naître ce même sentiment d’insécurité, érigeant devant des images glanées au fil de ses pérégrinations (illustrations, photographies, plans, dessins et sac en plastique) des structures qui en aveuglent des parties, en révèlent d’autres.
La confrontation inédite qui structure ce parcours offre ainsi une confrontation directe de l’artiste face à l’enfermement en tout genre. Loin du fantasme de sécurité qu’il peut traduire dans certaines sociétés, il apparaît ici comme toujours chez Mona Hatoum dans sa réalité la plus troublante ; une arme par destination à l’usage du monde, un rempart passif-agressif brisant la liberté des mouvements humains qui le nourrissent autant qu’ils le protègent, autant qu’ils l’inventent artificiellement. Le miroir qu’elle lui tend, dans la persistance de ses motifs et la nouveauté de ses formes, continue d’en saper les fondations, pour le bien de tous.