Robert Cottingham — Galerie GP & N Vallois
L’œuvre du peintre américain, né en 1935, est présenté pour la première fois dans les deux espaces de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Ses peintures côtoient ses dessins, dévoilant les étapes de travail de Robert Cottingham, et en creux, son rapport au réel.
« Robert Cottingham — Fictions in the Space Between », Galerie G-P & N Vallois du 8 novembre au 21 décembre 2019. En savoir plus Au 36 rue de Seine, qui accueille de récentes grandes huiles sur toile, tout autant qu’au 33 rue de Seine, où sont réunies une quarantaine d’œuvres sur papier réalisées depuis 1969, on retrouve les motifs qui ont fait le succès de Robert Cottingham (façades de bâtiments, enseignes en néon et devantures de magasins) mais aussi des sujets plus rares comme des villas hollywoodiennes, des pièces de machinerie et des flacons de parfum. D’emblée, il ne faut pas se méprendre : bien que Robert Cottingham soit associé à l’hyperréalisme — mouvement pictural qui vise à reproduire une image avec exactitude — il ne se contente pas de copier la réalité. Si ses peintures ont toutes pour point de départ une de ses nombreuses photographies prises lors de ses road trips à travers les États-Unis, l’artiste garde une part de liberté. Avec précision et patience, il compose, invente, retire, ajoute, décale, ajuste. La photographie est davantage un canevas qu’un modèle.Cette mise à distance de Robert Cottingham à l’égard de ses images photographiques est dévoilée à la galerie GP & N Vallois par la présence de ses dessins, souvent restés dans l’ombre des expositions car considérés comme simples études préparatoires. Du dessin à la mine de plomb jusqu’à l’huile sur toile, en passant par l’aquarelle ou la gouache, l’observateur curieux devinera les changements discrets qui s’opèrent d’une étape à l’autre. Ici, une ombre est déplacée, là, une chaîne a disparu, plus loin, des lettres effacées, ici encore, un angle est arrondi. Comme l’évoque avec justesse le titre de l’exposition, Fictions in the Space Between, littéralement « fictions dans l’espace entre », la part d’invention du travail de Robert Cottingham vient se glisser insidieusement dans les interstices — interstices du dessin et du réel –, trompant le sentiment de réalité qui domine au premier abord.
L’intuition d’un monde pas tout à fait comme le nôtre se fait jour à la galerie Vallois au-delà de la présence des dessins. Si les grandes huiles sur toile du 36 rue de Seine nous font retrouver la monumentalité réelle de l’enseigne dans une contemplation distante, les nombreux dessins et aquarelles sur papier du 33 rue de Seine, quant à eux, distillent une atmosphère énigmatique et intime. Devant eux, on s’approche avec une curiosité similaire à celle qui donne envie de se glisser à l’intérieur d’une maquette artisanale, d’un dessin animé ou d’une peinture cubiste. On voudrait s’infiltrer au milieu des volumes, le long des arrêtes, derrière les ombres, jusqu’à en oublier le figuratif, se plonger dans l’abstrait, au royaume des lignes, des courbes et des formes. De ce changement d’échelle, tel un zoom sur ce qu’on a l’habitude de n’apercevoir que de loin, émerge une inquiétante étrangeté. La perspective n’est d’ailleurs pas toujours parfaite, les couleurs sont saturées et tout horizon est évincé. Alors, on commence à douter. Quel monde peuple ces façades dont la vue d’ensemble nous est confisquée ? Quel langage déploient ces formes géométriques, tels des symboles infiltrés, déguisés en signes familiers de la ville américaine ?
Si le travail de Robert Cottingham s’inscrit dans la lignée des scènes vernaculaires américaines incarnée par des peintres réalistes tel Edward Hopper ou Charles Demuth, s’y mêle surtout l’influence du Pop art, notamment de peintres américains comme Robert Indiana, Jasper Johns et Andy Warhol, au regard de l’intérêt pour la typographie, le lettrage, les mots isolés, les couleurs criardes et les signes de la société de consommation. D’ailleurs, comme Andy Warhol (de sept ans son aîné), Robert Cottingham a commencé sa carrière en tant que directeur artistique d’une agence de publicité en 1963, après avoir été cartographe pour l’armée américaine de 1955 à 1958, avant de se consacrer à la peinture. Peut-être peut-on s’aventurer à penser que ces premières expériences ont permis la naissance de cette curieuse combinaison entre la nécessaire fidélité au réel de la carte et la nécessaire manipulation du réel par l’illusion de la publicité.
En mettant en avant le processus créatif de Robert Cottingham, l’exposition Fictions in the Space Between de la galerie Vallois déjoue le piège du peintre : faire croire, par son style hyperréaliste, à du vrai. Si l’on observe bien, derrière la précision et l’exactitude, l’artiste nous emmène dans un ailleurs, à la croisée de l’imaginaire, du surréalisme et de la nostalgie.