I’m from nowhere good — Maison Pop, Montreuil
Cette exposition, premier volet du cycle « No No Desire Desire » organisé à la Maison Populaire, fait face à l’impossibilité pour les minorités LGBTQI+ d’habiter le présent à part entière et à leur ambition de prendre part au futur. À travers vidéos, sculptures et installations contemporaines, se dessine un projet militant abouti et cohérent.
« No no desire desire : i’m from nowhere good », Maison populaire du 22 janvier au 4 avril 2020. En savoir plus I’m from nowhere good entend explorer les conditions dans lesquelles les vies des minorités sexuelles et de genre sont contraintes de se construire aujourd’hui. Le commissaire Thomas Conchou a réuni douze jeunes artistes queer contemporains dont les œuvres — en grande partie des vidéos — témoignent de leur désir de réinventer leur présence au monde. Ces créations ont en commun d’interroger la question des lieux et des frontières, aussi bien artistiques que politiques. Piégé.e.s entre les injonctions normalisantes d’un côté et l’absence d’un espace de liberté de l’autre, les artistes invité.e.s ne semblent pas avoir d’autres choix que celui d’ouvrir un véritable chantier, dont les expérimentations convergent vers un même but : trouver un lieu où il leur est possible d’exister sans être rejeté.e.s dans le silence et l’invisibilité de la marge.Dans ce travail de résistance, chaque œuvre présentée emprunte un chemin bien différent. Dans la vidéo Mondial 2010, la caméra de Roy Dib suit un couple d’homosexuels libanais venu passer un week-end à Ramallah, en Palestine. Leurs voix résonnent, discutent, les paysages défilent. Mais les corps des deux amants sont toujours hors-champ, à l’image de leur amour devenu clandestin le temps d’un voyage. Cette absence fait écho à la plage déserte qui compose le paysage de la vidéo Becoming Natural du duo Hannah Quinlan & Rosie Hastings : des pancartes abandonnées d’une Gay Pride jonchent le sol, tels des vestiges inquiétants d’une lutte qui n’aurait plus sa place ici. C’est aux vestiges du Musée d’histoire naturelle de Varsovie que le Polonais Mikolaj Sobczak, quant à lui, s’intéresse, mettant en scène un groupe de drag-queens qui prend d’assaut l’institution. Elles suggèrent, par leur présence, que notre mémoire est à réécrire, plus inclusive.
L’anticipation du futur, elle aussi, est à revoir, si l’on en croit le travail de Tarek Lakhrissi (artiste associé au cycle d’exposition). Le personnage principal de Out of the blue, perçu comme « l’élu » au cœur d’une invasion extra-terrestre, mène une quête identitaire. C’est sur une scène, sous les feux des projecteurs, qu’il semble parvenir à s’exprimer et à laisser libre court à son identité. « J’ai choisi de me choisir » dit-il avec fierté. Dans Heaven de l’artiste brésilien Luiz Roque, sur un plateau de télévision — une autre forme de scène –, une personne trans accuse le gouvernement d’un génocide de la population trans, dans le contexte dystopique d’une étrange épidémie. La force de ces propositions, à la croisée de la poésie et de la politique, réside non seulement dans leur révision du passé et leur transformation du présent, mais aussi dans l’audace d’imaginer un futur — espace, par essence, de tous les possibles — auquel les corps queer pourront appartenir. Face à un avenir, où, pour l’heure, il nous sera à tous.tes difficile de respirer, ces artistes opposent un espoir, concernant aussi, au-delà de la question de l’identité de genre, le capitalisme, l’écologie et le racisme.
L’exposition invite ainsi à une réflexion sur les liens qui unissent la notion d’espace à celle de norme. Quelles lignes — spatiales et symboliques — sont à franchir pour se faire entendre et se faire voir ? À la Maison Populaire, les œuvres ont trouvé une cage de résonnance, disponible, compréhensive et accueillante. Les cris et les chuchotements de la revendication qu’elles portent se déploient sur les murs, tissant la toile d’un art queer, né dans les années 1970 et encore bien vivant. Toutes les œuvres, hautes en couleur, sont autant de voyages dans des mondes où les références normées habituelles des spectateurs.rices sont effacées ou altérées, au point que l’on pourrait un instant succomber à l’illusion et commencer à croire à ce présent alternatif, juste sous nos yeux, dans lequel il suffirait de se jeter pour qu’il existe. Si l’on quitte l’exposition en se disant que ce vaste chantier est loin d’être terminé, la présence importante des pratiques vidéo — un médium caractérisé par son immédiateté et son accessibilité — insiste justement sur l’urgence à créer, à agir et à faire connaître.
L’exposition I’m from nowhere good n’est donc pas seulement un lieu d’images, mais de voix politiques, un laboratoire d’alchimistes-artistes travaillant à la fabrication d’un monde d’où venir, revenir ou repartir, en contre-jour de son propre titre, signifiant « Je ne viens de nulle part de bon ».