Jay Tan — Centre d’art contemporain Chanot, Clamart
Le Centre d’art contemporain Albert Chanot présente la première exposition personnelle en France de l’artiste anglaise Jay Tan. Un voyage captivant où la fantaisie du jeu participe d’une déconstruction de soi. Nous vous proposons une plongée en mots et en images au cœur de cette exposition qui rouvre ses portes le 10 juin 2020.
« Spaghetti Junction — Jay Tan », Centre d'Art Contemporain Chanot CACC du 29 février au 5 juillet 2020. En savoir plus Née à Londres en et basée aux Pays-Bas, Jay Tan incorpore, décline et déconstruit les codes culturels des mondes qu’elle parcourt pour inventer des performances et ériger des installations dont l’apparente fragilité et l’équilibre précaire cachent une résistance vivace au principe de disparition. Composées d’objets de récupérations glanés lors de promenades, de sculptures et autres créations plastiques minimalistes et artisanales, ses sculptures dressent dans l’espace un terrain de survie d’éléments voués à l’extinction. Ancrée dans les problématiques d’échanges et de mondialisation, Jay Tan observe comment les environnements modèlent des identités éparses dont les échos sont aussi nombreux que les contradictions. On trouve ainsi dans son œuvre un panthéon de personnages, à l’image de ses « princesses », aussi influencées par la culture pop d’Orient et d’Occident que par sa propre histoire.Si Jay Tan définit bien les contours de son projet, son identité, elle, se déploie dans le temps de la fabrication, à l’image du titre de l’exposition Spaghetti Junction, cette référence à l’échangeur autoroutier londonien emblématique du quartier de son enfance. Archétype des nœuds complexes tissant les réseaux de mégalopoles, cette forme symbolique se charge ensuite de nombreux éléments empreints des échanges développés sur place, au gré des promenades dans la ville comme de rencontres avec les publics scolaires. Jay Tan combine ensuite, entre poursuite du projet initial et improvisation inscrite dans le cadre de sa pratique, tous les éléments disparates dont elle orne l’espace, accompagnant ses deux œuvres principales de suspensions ornementales.
La dimension ludique est alors part nécessaire de sa création, dressant le théâtre d’un imaginaire en mouvement, appelant à l’activation et à l’implication. À l’image du circuit électrique, motif récurrent de son œuvre et présent au CACC, accompagné de ses voitures « pimpées » par l’artiste Leonardiansyah Allenda, devenues sous leurs strass autant de personnages fantasques et symboliques porteurs d’une histoire à (se) raconter. Sur la piste close du circuit électrique, les voitures prisonnières de leur boucle se pourchassent jusqu’à l’accident, rendu inévitable par la raideur des virages et la progression, à l’aveugle, derrière la cimaise, du parcours. Une montagne de carton et sa route panoramique surplombe l’installation, cachant à son tour une grotte minuscule qui fait écho à la seconde installation de l’exposition. Usant de cette ferveur ludique, de sa volonté assumée de créer des variations ingénieuses de nos jeux d’enfants, Jay Tan offre une synthèse de joyeux fantasmes en combinant à la petite voiture la puissance imaginaire de la grotte. Comme dans nombre de ses œuvres, elle nous pousse avec malice à décliner notre ligne d’horizon à ras du sol, à tourner et retourner autour de babioles elles-mêmes suspendues et dont on ne saisit jamais l’entière signification, comme on ne saisit jamais la face cachée de l’objet. Autant alors laisser libre cours à l’imaginaire pour reconstruire ce que l’envers pourrait être et se laisser happer par cet entremêlement de narrations, ces croisements d’histoires possibles qui au gré de cadavres exquis nés de ses délires pour appréhender, avec tout le sérieux qu’ils méritent, ces graves « enfantillages ».
Se révèle, en filigrane et du fait même de l’apparent déséquilibre esthétique, de l’approximation des matières autant que de la force des contradictions qui modèlent ses formes, une réflexion vibrante sur la gravité, l’orientation, avec sa manière d’appeler nos regards vers le sol, vers ce monde à nos pieds grouillant d’embûches et de possibilités. Des possibilités infinies comme autant de points d’attraction magnétiques au sein d’un monde sphérique qui déjoue toute position de principe, toute posture figée, comme elle l’évoque dans l’entretien qu’elle accorde : « l’est c’est un concept étrange pour une sphère », qui plus est quand cette dernière a pour essence d’être toujours en mouvement.
Brouillant ainsi toute appartenance à un genre, procédant par associations d’idées aussi érudites que conjoncturelles, aussi intimes qu’ancrées dans la culture populaire, Jay Tan invente autant qu’elle exhume des ruines minuscules et invisibles de sociétés de consommation qu’elle agence à nouveau pour leur offrir une nouvelle fonctionnalité. Elle ménage ainsi à toute différence une place dans un ordre oscillant entre matériaux inertes et tissu organique dont l’apparente contradiction nourrit la force d’inspiration, la manière de toucher, de faire clignoter la sensibilité d’un visiteur qui se retrouve à son tour à faire l’expérience de toutes ces différences et d’y percevoir, comme un reflet brouillé, le trouble de la sienne propre.