Neurones, Les intelligences simulées — Centre Pompidou
Le Centre Pompidou présente à partir depuis le 26 février un parcours ambitieux et audacieux (suspendu pour le moment) qui explore les limites plastiques d’une intelligence qui pour artificielle qu’elle peut être, définit les contours de réalités de plus en plus complexes.
« Mutations / Créations — Neurones / les intelligences simulées », Centre Georges Pompidou du 26 février au 20 avril 2020. En savoir plus Autour de grands moments de l’histoire de l’intelligence artificielle, l’exposition articule les réflexions plastiques et esthétiques qui embrassent des concepts que cette présentation tente d’éclairer. En réunissant ainsi des œuvres d’art, des démarches particulièrement diverses dans leur forme comme dans leurs intentions, dans leur souci formaliste ou non d’impliquer le champ de la science et de la connaissance, le parcours en dévoile la puissance créatrice et déploie un arbre des possibles qui réunit avec intelligence des enjeux fondamentaux. Un enjeu historique pour le Centre Pompidou qui intègre dès ses débuts le Centre de création industrielle qui, au fil des ans, proposera des rencontres fructueuses entre arts plastiques et invention technologique.Le paradoxe et la contradiction semblent inhérents aux recherches autour de l’intelligence artificielle à l’image de la montée en puissance d’une culture de masse dont chacun s’investit pour penser à son tour la possibilité d’un dépassement de soi. Un paradoxe qui se voit rapidement doublé par le mouvement du fantasme d’extension de nos capacités humaines indissociable d’une menace de dépassement par l’ordinateur. Des lignes contradictoires que nombre d’œuvres présentées reflètent, portant en elles ce doute propre à une machine complexe, obérée de toutes ses contradictions, riche de toutes ses rencontres, de toutes ses impasses et qui continue de faire fructifier la pensée : notre cerveau. L’alliance de l’art, de la science, de l’histoire et de l’imagination offrent ainsi une base riche et prolifique à la manière même dont a été élaboré ce parcours, cherchant selon son commissaire Frédéric Migayrou à « élaborer des représentations de l’intelligence artificielle elles-mêmes dictées par une intelligence artificielle qui en sélectionne les occurrences les plus fréquentes ».
La logique d’une pensée tout entière basée sur la binarité « échec réussite » se voit ici largement dépassée pour s’incarner dans un voyage qui dynamite la simple découverte chronologique et souligne des ramifications qui font jouer l’analogie, la métaphore, pour rejoindre une logique plus archéologique, une pensée par la « prise en main » plutôt que par la tentation d’une synthèse objectivante de l’esprit. Un mouvement plus en phase avec la capacité de l’homme à s’approprier et à faire jouer les concepts pour les complexifier infiniment, au gré de problématiques qui se répondent ici plus qu’elles ne s’affrontent. Ce qui n’empêche en rien chaque œuvre, chaque proposition de prolonger et de mettre en pratique ces perspectives sur les possibilités du cerveau et de questionner la représentation qu’on en a. Ces liens nécessaires trouvent ici un terrain de jeu dont on ressent le plaisir de la conception, le bonheur d’organiser une réflexion formalisée dans l’espace autour de thèmes qui, même s’ils ne sont pas tous parfaitement lisibles, deviennent autant de prétextes à dessiner les résonances entre enjeux philosophiques et scientifiques existentiels. Le catalogue1 enrichit encore le propos en revenant sur les thèmes avec une belle érudition qui souligne les enjeux philosophiques réjouissants d’une histoire de la pensée qui continue de s’écrire.
Une richesse donc, qui se voit nuancée par le parti-pris d’un éclairage réduit, poncif des expositions scientifiques et techniques, qui dessert ici un propos plus ouvert et éclaté qu’une présentation plus sobre, de type white cube aurait certainement radicalisé. De même, la fin de parcours, multipliant les projets industriels, essouffle légèrement la part novatrice de ce langage pluriel en le noyant sous des logos et signes nécessaires mais par trop présents.
Au final, cette exposition du Centre Pompidou confirme l’ambition, malgré quelques maladresses et imperfections, d’une programmation à la pointe du monde du savoir d’aujourd’hui qui organise un mouvement prometteur entre les champs de l’art, de la technique, du vivant et de la technologie qui, ainsi mis en scène, dessinent les contours (à affiner) d’une propédeutique contemporaine conjuguant pédagogie, invention et inspiration.
1 Catalogue de l’exposition, sous la direction de Frédéric Migayrou et Camille Lenglois, Editions du Centre Pompidou, Editions HYX