Jakob Lena Knebl — Galerie Loevenbruck
Reprenant les paroles du refrain du célèbre Come Together des Beatles en soulignant une ponctuation qui accentue sa valeur de prière, Jakob Lena Knebl orchestre à la galerie Loevenbruck une exposition fastueuse et jouissive qui convoque une dizaine d’artistes issus des collections de la galerie.
« Jakob Lena Knebl — Come together, right now. Over me. », Galerie Loevenbruck du 7 juin au 31 juillet 2019. En savoir plus Jakob Lena Knebl, artiste autrichienne née en 1970, envisage ses interventions comme des « espaces de désir » (Desire Rooms) qui mêlent à sa production des œuvres d’artistes qui sont ainsi repensées dans leur nature même. Sans obéir aux règles du dialogue discursif, ses rapprochements font plus souvent appel à une forme de narration affective où les images polymorphes entrent en contact comme autant de rencontres fortuites dessinant des ramifications inédites. La force de Jakob Lena Knebl, à l’œuvre ici, tient à ce que son action parvient à maintenir ensemble, dans l’espace et en équilibre, ces forces radicales tout en les intégrant à un ensemble aussi subtil que vibrant.Pareilles à des champs magnétiques intenses, elles vibrent de leur singularité en déversant sur leur entourage immédiat une force d’attraction que les dispositifs de Knebl parvient à accompagner. Car si elle est bien l’auteur de l’exposition, si son univers plastique n’a rien du travail discret et sous-jacent du commissariat, sa force paradoxale est bien de faire tomber le rideau de l’identité et d’imposer sur cette notion un voile d’incertitude qui nous force à la réviser.
Dans l’espace délimité de la galerie, Jakob Lena Knebl s’empare de chaque centimètre cube que l’on respire, de chaque centimètre carré que l’on perçoit pour déployer une œuvre totale. Un « égosystème » hors de tout « egotrip » qui, en célébrant sa subjectivité, voire ses subjectivités, met en scène la fin de son personnage, réduit (ou maximisé, selon la perspective) à un réceptacle d’intensités capable d’en dessiner un paysage tentaculaire. Comme des miroirs kaléidoscopiques nous renvoyant au tourbillonnement continu et incontinent de notre désir, les œuvres s’interpellent et se répondent dans une hystérie féconde, augmentant la portée sexuelle du titre, à deux lettres (en anglais) d’une luxure dont la bienséance ne souffrirait la traduction (« Come together, right now. Over me »).
Les toiles de Sonia Delaunay ici merveilleusement utilisées agissent comme autant de pôles d’attraction qui font sauter la dynamique d’une installation qui étend ses racines pour nous replonger face à nos doutes, brûlant au passage les frontières souvent bien définies (ou à tout le moins pensées comme telles) de nos possibles désirs. Des affects nous chavirent invariablement à la vue de contrastes de couleurs criardes, de sujets métaphysiques ramenés sur terre par les allusions organiques d’Arnaud Labelle-Rojoux (un bras, une jambe, un majestueux tas marron) ou la malice, ici doublement efficace, du vertigineux L’Origine des hommes de Philippe Mayaux. Avec le rire, avec l’outrance, avec la gravité et la subtilité, Jakob Lena Knebl déploie un décorum du plaisir qui invente sa propre passion du beau et nous entraîne de fait au cœur d’une esthétique de l’intensif, de la force et du choc, du rire et de l’outrance dans un spectacle muet. Ce silence n’est pas pourtant sans réveiller certains enthousiasmes sincères, en premier lieu celui de sentir un amour immodéré pour ses invités, pour ces poupées qu’elle intègre pleinement dans un délire qui les fait se transcender, une forme de respect dans le détournement dont on voit peu de propositions d’appropriation et de monstration aussi sensibles.
Le texte lumineux de Marc-Olivier Wahler qui accompagne l’exposition ouvre à son tour des perspectives théoriques passionnantes et pointues sur la démarche de Jakob Lena Knebl en faisant du dispositif une réflexion totale sur l’impensé, en matière d’art contemporain, de l’espace. Cet espace est alors celui de la sensation, celui de l’intensité de l’expérience subjective qui s’intègre pleinement au concept même de l’exposition. Car si Jakob Lena intègre le travail des autres, c’est précisément parce que sa démarche ne se limite plus au partage mais envisage l’exposition comme une demande urgente adressée au visiteur de se positionner à son tour, d’inventer sa position dans un contexte qui exige sa présence pour exister. Une activation, par le biais de l’art, de l’expérience, nous faisant entrer dans une dimension proprement sensorielle de l’acte créateur.
En se mettant à ce point en scène, en jouant autant de la représentation et du spectacle, Jakob Lena Knebl ne fait que souligner, en le détournant et en le déjouant, ce miroir étrange qui en finit avec l’imposition du goût et ne renvoie comme reflet que celui d’une identité qui exige autant qu’elle autorise une recherche singulière.
Edit : Jakob Lena Knebl représentera, aux côtés d’Ashley Hans Scheirl, l’Autriche lors de la Biennale de Venise 2021.