Karina Bisch — Centre d’art de l’Onde, Vélizy
Le centre d’art de l’Onde de Vélizy présente jusqu’au 22 décembre une exposition personnelle de Karina Bisch, Les Tableaux vivants qui, derrière son apparent classicisme, cache un jeu d’échos et de partage qui inscrit le spectateur au cœur du mouvement.
« Les Tableaux vivants », Micro Onde — Centre d’art contemporain de l’Onde du 7 octobre au 22 décembre 2017. En savoir plus L’artiste poursuit, depuis ses premiers travaux, cette question d’une congruence de l’art et de la vie, empruntant au Bauhaus, l’une de ses influences majeures, l’ambition de les confondre. Une recherche prégnante qui l’a vue ainsi multiplier les médiums, stratégies et influences pour creuser ce rapport et insérer l’art dans nos vies. Un vœu qui n’a rien de théorique puisqu’elle s’est attachée à penser des dispositifs où la peinture, loin d’être un outil de représentation, s’instille dans le présent, dans la présence des corps, recouvrant des toiles soumises aux aléas de l’air, des mannequins plantés dans l’espace jusqu’aux tissus vestimentaires, proposant des peintures « à porter » qui trouvent ici une extension avec le foulard réalisé spécialement pour l’exposition. Art-objet, art-œuvre, Karina Bisch prolonge expressément cette quête de bâtisseuse de monde mais offre un contre-pied saisissant à cette peinture de l’envahissement en s’emparant de la création classique à travers trois grandes peintures sur toile qui constituent l’essentiel de l’expositionAvec cette nouvelle série, Karina Bisch opère un pas de côté vis-à-vis de son utilisation de la géométrie. Si sa peinture a toujours débordé le plan bidimensionnel pour en perturber la fixité et lui donner vie, le motif lui-même semble évoluer et quitter les triangles, losanges et autres figures auxquelles l’artiste nous a habitués. Sous des dehors extrêmement purs et précis renforcés par son utilisation caractéristique de l’acrylique, la peinture de Bisch laisse poindre une fragilité, une fébrilité qui font osciller le regard. Les lignes vacillent, la toile se gondole, les couleurs s’affrontent ; ses tableaux sont parcourus de vibrations sourdes, d’ondes qui sont autant de lignes directrices qui leur permettent d’imposer leur force tout en laissant libre cours au mouvement, au déplacement du regard en leur sein, à la recherche de signes, références et symboles que manie à merveille l’artiste.
Il y a ici un jeu avec la solennité de l’espace fantasmé de la salle du musée où les toiles, immenses, écrasent dans un premier temps à un spectateur encouragé à s’asseoir, à se reposer pour en supporter le souffle. De Matisse à Stella, de l’abstraction au collage, les signes s’accumulent et dessinent presque un « musée-décor » qui cache une emprise initiale sur quiconque le pénètre. Dans cet espace vidé de mots et pourtant plein d’une proposition artistique d’envergure, le spectateur s’inscrit dans l’expérience même, la recherche et la confrontation à un art, certes singulier mais plein de signifiants polymorphes. Car les compositions de Karina Bisch, si elles frappent par leur cohérence et leur maîtrise de l’espace, se lisent également comme un assemblage de motifs renvoyant à l’histoire de la peinture, de l’architecture et de sa pratique même.
Plus encore, le corpus de signes avec lequel Karina Bisch élabore ses compositions trouve un écho inattendu sur les coussins qui ornent les tabourets sur lesquels nous sommes invités à prendre place. Loin de ne constituer que des pièces du décor, ces canevas répondent aux critères de création de l’artiste et sont des créations uniques. On entrevoit alors le plaisir d’une artiste qui force le regardeur à prolonger son observation contemplative des œuvres d’art jusque sous son séant et à s’inscrire ainsi, à travers son corps, dans le mouvement de la création.
Dans son mutisme mais avec une malice et un plaisir irrémédiablement visibles, l’artiste dresse ainsi un éloge de la peinture mais aussi de sa force en laissant la responsabilité au visiteur de faire vivre l’ensemble. À partir de la fixité du cadre, elle exprime toute la puissance de déplacement, d’instabilité et de suspens de formes qui participent d’une exhortation à laisser la peinture nous habiter, pénétrer les interstices de notre expérience pour tordre notre regard et nous inviter à observer le monde comme un formidable herbier plein de motifs à agencer à son tour.