Alex Cecchetti — La Ferme du Buisson, Noisiel
L’exposition Tamam Shud d’Alex Cecchetti est un chassé-croisé entre fiction et réalité. Son nom prend racine dans le mystérieux fait divers australien du même nom — l’affaire Taman Shud1 — et donne ainsi le ton de l’épopée énigmatique qui nous attend à la Ferme du Buisson.
« Alex Cecchetti — Tamam Shud », La Ferme du Buisson, Centre d’art contemporain du 11 novembre 2017 au 25 février 2018. En savoir plus Pour sa plus grande exposition monographique en France — déjà présentée au CCA Ujazdowski Castle de Varsovie en septembre dernier — Alex Cecchetti déploie dans les espaces de la Ferme du Buisson une œuvre prolifique et organique. L’artiste y bâtit un royaume de potentialités qui s’offre à nous comme une enquête d’actions, de formes et de narrations. L’exposition est divisée en six espaces, six chapitres d’une histoire fantasque qui s’apparente aux rites de passage : Reading Room, Music Room, Dinner Room, Dance Room, Erotic Cabinet et Death Room. À la fois espace de vie et cabinet de curiosités, Alex Cecchetti crée des lieux au statut poreux qui questionnent notre rapport physique et mental à l’espace (privé, public) et à l’objet muséal. Ainsi, à chaque pièce son usage : on lit ou on écoute dans la Reading Room, on danse dans la Dancing Room et on s’allonge pour mieux s’abandonner au sommeil dans la Death Room. Sur une grande table gravée d’une carte de tarot imaginaire dans la Dinner Room, des dîners sont proposés sur réservation. Pas de menus mais des poèmes de l’artiste qui sont interprétés librement par un chef cuisinier.L’architecture impose une chronologie de déambulation et les différentes dénominations des pièces orientent nos attentes parfois bouleversées ; c’est là que la force narrative du dispositif mis en place par Alex Cecchetti réside. Cette cartographie présentée sous forme de plan sur le livret d’exposition devient — par la nature même de certaines œuvres qu’il faut activer ou découvrir — une expérience initiatique où le visiteur devient acteur. Le caractère immersif et foisonnant de l’exposition participe au sentiment doublement inédit et mystérieux de l’expérience qu’Alex Cecchetti propose ici. Bien que les pièces soient catégoriquement nommées, les environnements communiquent entre eux grâce à l’ambiance sonore omniprésente créée pour l’exposition. À chaque fois qu’un visiteur pénètre dans la Music Room, la porte qu’il traverse active un mécanisme de cordes de piano. Dans la Dancing Room les pas de danse des visiteurs se joignent au fond sonore. La Death Room joue Cetaceans, un concerto polyphonique qui dure le temps d’un cycle de sommeil, soit une heure et demie. Tant de partitions régulières, ponctuelles ou aléatoires qui ensemble habillent notre déambulation curieuse. Comme dans les cales d’un navire — on pense au baleinier de DR9 de Matthew Barney — pas d’ouvertures sur l’extérieur. Alex Cecchetti a toutes les cartes en main, joue au démiurge et tire les cordes de nos repères spatio-temporels.
Certaines œuvres doivent être activées, piétinées, caressées, d’autres sont à toucher avec les yeux seulement et certaines sont totalement dissimulées. Espérons que les traces des précédents publics qui se seront lancés sur la piste de danse cuivrée encourageront les nouveaux à passer à l’acte. Aussi, la médiation intègre l’œuvre et devient une enquête performative. Les médiateurs de l’exposition — intermédiaires de l’artiste — se font détectives et ne révèlent au public que ce que l’artiste leur a confié. Dans certaines salles, des trappes dont eux seuls détiennent la clef, renferment des œuvres qu’ils dévoilent exceptionnellement.
1 L’affaire Taman Shud est une affaire irrésolue, concernant la découverte d’un cadavre masculin non identifié, en 1948, sur la plage de Somerton en l’Australie. Le nom de l’affaire provient de la phrase « Tamam shud » — signifiant « fini » ou « terminé » en persan ancien — qui figurait sur la dernière page des Rubaiyat d’Omar Khayyam, retrouvée dans une poche secrète du pantalon de la victime.