Surfaces sans cible — 22Visconti
Avec un commissariat assuré par Anaïd Demir, l’exposition Surfaces sans cible au 22Visconti interroge du 3 au 19 novembre les conditions de la fabrication de l’image et sa réception dans un parcours foisonnant et généreux qui célèbre la vie sensationnelle et sensible de l’œuvre d’art.
L’exposition orchestre un dialogue vivace entre des expérimentations sensibles de l’image, usant de moyens différents (peinture, photographie, dessin, etc.) en les combinant et de stratagèmes pour les faire résonner. Dans l’espace du 22Visconti s’engage ainsi un formidable voyage visuel qui étale ses vues de l’esprit et cache surtout une véritable actualité de la création artistique dans sa réponse à la démultiplication des images. Si la question de ce qui « fait » image n’a rien de nouveau, la position de tous ces artistes par rapport au fait d’une société d’images est incontestablement vibrante. Vibrante car l’image, ici, résiste à l’oubli, ne se laisse pas recouvrir par la suivante, chacune à sa manière, insaisissable, découvre une autre qui la côtoie, s’y oppose en la contredisant ou vient souligner, par réciprocité, sa singularité.
Par le détournement d’abord avec le spectacle assuré et capturé par les paparazzi de la sculpture hilarante de Wang Du ou les icônes religieuses « rhabillées » d’Oksana Shashko, les parodies d’affiche de campagne de Gianni Motti ainsi que les tatouages appliqués aux modèles de publicités surannées de Léo Dorfner. Dans le collage ensuite, la combinaison d’éléments comme autant de termes d’un langage poétique déroulant ses propres histoires, dans les photographies éthérées et mystérieuses de Nicolas Comment, les associations étranges de Loup Sarion, les délicieux Collages de Karin Crona ou les surprenants scanners de Baptiste Rabichon.
Partout, l’image s’affirme comme vecteur de sens, porte sa narration et déjoue les attendus. En glissant également vers ce qui ne fait précisément pas image avec Elsa & Joana, un duo de photographes qui continue d’impressionner en proposant une série de corps tronqués, photographies dont le cadre s’attarde sur un détail, tranchant dans le réel toute possibilité de contexte. En usant aussi de ce qui ne fait pas image avec la réutilisation, par Sophie Kitching, de motifs de couvertures (eux-mêmes retouchés et assemblés) des premières éditions d’ouvrages de Chateaubriand qui, s’ils ne disent rien de l’œuvre, sont néanmoins chargés d’une histoire qui, par ricochet, empreint ces compositions hypnotiques.
Enfin, nombre d’entre eux abordent frontalement la question de la place de l’image en la sortant de son champ pour envahir le monde sensible. En figeant, à l’exemple de Paul Créange l’image d’un défilement du paysage à travers la fenêtre d’un train au sein d’intelligents « mobiles » qui ne dévoilent leur nature qu’après un long examen. En extrayant le motif du cadre également, à même des plaques de marbre avec Alice Guittard ou en le déployant dans une réalité alternative pour envahir le champ de vision du smartphone avec l’application téléphonique de Marie Maillard. Ne plus se limiter à la capture d’un espace donc, mais faire espace ; en recouvrant à la mine graphite un mur de la galerie, Constance Nouvel s’approprie les conditions de monstration de la photographie qu’elle y insère et fait de l’image un dispositif de décor, découpant et agrandissant la réalité pour que l’image, à son tour, fasse lieu. Une lecture de la « topographie » qui se dévoile dans une seconde œuvre mettant en regard les lignes d’une carte en perspective et une perspective de paysage somptueux.
À l’opposé de l’usage numérique contemporain de la photographie et son « partage » quotidien, rien ne défile ici sous nos yeux comme l’on fait défiler les images sous ses doigts. Bien plutôt ce sont les images qui animent les esprits et mettent en mouvement notre regard, nous repoussent chacune en s’adressant véritablement à notre singularité plutôt qu’à ce que l’on représente, nous interroge en tant que personne plutôt que nous retenir en tant que cible. Ne pas faire du « regardeur » une cible donc, mais créer les conditions de danger, de doute et d’interrogation pour l’inviter à se plonger tout entier derrière la surface, le toucher au plus profond sans l’avoir visé.