William Forsythe X Ryoji Ikeda — La Villette
La Villette organise, dans le cadre du Festival d’automne et jusqu’au 31 décembre, une rencontre inédite en invitant deux artistes à partager ses espaces le temps d’une exposition événement qui mêle les disciplines pour offrir une expérience totale d’un art qui se nourrit des autres.
« William Forsythe X Ryoji Ikeda — Nowhere and Everywhere at the Same Time — Test Pattern », La Villette du 1 au 31 décembre 2017. En savoir plus Car à n’en pas douter, William Forsythe et Ryoji Ikeda, s’ils ne viennent pas directement des arts plastiques, prouvent chacun à leur manière ce que la création interactive signifie. En s’effaçant tout autant qu’en façonnant chacun un cadre vivant dans lequel les corps sont invités à pénétrer, cette rencontre de deux univers implique le visiteur jusque dans sa chair et contribue à repenser son appréhension de l’espace. La question de la chorégraphie apparaît ici renversée pour les deux artistes qui, plus qu’écrire le mouvement, dessinent les lignes qui permettront à chaque spectateur, par ses mouvements, d’y laisser sa trace. Par la lumière et le son pour Ikeda ou la présence d’objets pour Forsythe, l’invitation faite aux corps, agiles ou non, graciles ou lourds de s’y mouvoir compose invariablement une chorégraphie palpitante de l’obéissance et de la lutte.Chez Forsythe d’abord, Les mouvements déambulatoires des poids imposent une véritable stratégie du mouvement de la part de celui qui pénètre l’espace d’exposition. Une expérience passionnante où l’on suit le mouvement muet de ces poids en suspension en tentant de ne pas bousculer leur ordre, barrant le chemin ou au contraire ouvrant des brèches pour s’en frayer un. Pareilles à des précipitations météorologiques, voires météoriques, les filins obliques soufflent dans l’air et dessinent une grille vivante dans cet espace qui se fait tour à tour accueillant ou hostile. Alors Nowhere and Everywhere at the Same Time No. 2, 2013 se mue en une formidable forêt, une épreuve de la danse avec son propre corps.
Avec la simplicité du mouvement pendulaire, c’est aussi à la gravité que Forsythe s’attaque directement, justifiant son statut de chorégraphe, écrivain du mouvement. Comme tout écrivain pourtant, il ne maîtrise pas la totalité du tableau et s’en remet ici à l’avènement de rencontres, aux aléas des passages et des chocs, des heurts, pour élaborer un chaos organisé et créateur, une écriture imaginaire de ces pendules comme autant de mines sans encre jouées par des mécanismes qui les surplombent et des corps qui les heurtent.
Basées sur une approche sensible de la mathématique, les installations de Ryoji Ikeda nous plongent dans des espaces à vivre qui sont parcourus de sons et de lumières à articulées dans des ballets immersifs. Avec Test Pattern n.13, présentée ici, il reproduit une pièce qui nous plonge dans l’obscurité où des éléments du monde sont codés en séquences de sons et de lumière qui courent sous nos pieds.
La bande sonore électronique, jumelée avec la projection lumineuse au sol procure un indicible sentiment musical qui invite à se fondre dans ce mouvement, cette course parallèle de deux plans que l’on coupe et traverse à mesure que l’on progresse. L’électronique, la composition numérique et le séquençage d’éléments du quotidien se rejoignent alors en un ensemble singulier de force mélodique. Chaque individu présent devient alors un intrus qui oblitère la pureté immaculée de la séquence projetée au sol en y imposant son ombre. Celle-ci intègre une forme aléatoire, une perturbation de l’image autant que de son rythme qui donne toute sa propension organique à la création, rendue indissociable des corps qui l’habitent.
En ce sens, si les univers de ces deux artistes sont particulièrement éloignés en apparence, leur utilisation et l’importance confiée à l’expérimentation par le public dans leur déploiement paraissent les lier dans un rapport à l’espace et à l’inconnu qui démonte toute sensation de froideur. L’absence de discours, la technologie et l’utilisation du numérique contribuent tout au contraire à offrir une dimension d’accueil de l’autre au sein de deux dispositifs monumentaux qui contribuent à renouveler la sensation de l’espace.
Dans leur polyphonie, Forsythe et Ikeda redéfinissent ainsi l’idée même d’exposition pour en faire un lieu d’expérimentation, de sensations inédites, un spectacle en négatif qui devient une injonction délicieuse à s’exposer soi-même.