La bascule du regard — Les Douches La Galerie
Dans ce lieu d’exposition consacré à la photographie, installé depuis 2006 dans d’anciennes douches publiques, sont présentées près d’une cinquantaine de photographies en noir et blanc, réalisées dans les années 1920 et 1930, de trois artistes de la Nouvelle Vision. « La bascule du regard — Des artisans de la Nouvelle Vision », Les Douches la Galerie du 13 avril au 15 juin 2019. En savoir plus En Europe, après la Première Guerre Mondiale, une génération de jeunes photographes veut faire basculer les regards sur l’époque qui s’inaugure, de plus en plus industrielle et technique. C’est la Nouvelle Vision. L’ambition est de changer de point de vue, de donner à voir cette modernité selon des perspectives insolites. À ce monde nouveau, qui tente de façonner un individu nouveau, la photographie doit répondre par des images nouvelles. Plongée, contre-plongée, vision latérale, basculement de la ligne d’horizon, diagonale, jeu d’échelle, gros-plan, décadrage, surimpression : un langage visuel inédit se met en place. Ce renouvellement s’accompagne d’un rejet de l’héritage du XIXe siècle avec son mode de représentation frontal et ses sujets centrés et cadrés à hauteur. Pour les photographes de la Nouvelle Vision, il n’y a plus de « bonne » photographie. Tout doit être expérience, innovation, audace, jeu.
À la galerie Les Douches, les commissaires d’exposition Éric Rémy et Françoise Morin ont décidé de rendre compte des enjeux propres à cette génération à travers les créations de trois photographes français, sélectionnés pour leur caractère représentatif : Pierre Boucher, Jean Moral et André Steiner. Tous nés à l’aube du XXe siècle, ils ont en commun d’avoir saisi la France à une époque singulière, se promenant en plein-air, aidés par l’apparition sur le marché de petits appareils maniables (Leica et Rolleiflex). Entre leurs nombreux travaux de commandes et leurs recherches personnelles, ils ont été les artisans de la Nouvelle Vision en France.La réunion de leurs tirages convainc à travers la mise en perspective assumée : les trois artistes ne sont pas présentés séparément mais leurs œuvres dialoguent par un jeu d’associations, formelles et thématiques, tissé autour de leurs similitudes. Ainsi les Rails de train de Pierre Boucher qui traversent l’image en oblique côtoient la Route de Jean Moral prise, de biais, depuis une voiture. Les baigneuses nues saisies en plongée sous la transparence de l’eau de la mer d’André Steiner et de Pierre Boucher se répondent dans une ressemblance étonnante. La poupée usée, objet surréaliste, prise par Pierre Boucher sur le sable, fait étrangement écho aux jambes d’une femme abandonnées dans un coin du cadre par Jean Moral, près d’une tortue avançant sur un plancher ensoleillé. Que l’accrochage les rapproche ou non dans l’espace, des résonances entre certains tirages se créent dans l’esprit du spectateur, au détour d’une ombre, d’un regard, d’un angle, d’une ligne. La singularité de chaque artiste n’en est pas pour autant niée et le spectateur quitte la galerie en ayant le sentiment d’avoir fait simultanément trois mémorables rencontres.
C’est donc la dimension ludique du travail de ces artistes qui les a poussés à explorer sans crainte ces terres inconnues de la photographie. Peut-être que la Nouvelle Vision nous en apprend autant sur ce médium que sur la jeunesse, toujours portée par une volonté de renouveau, un enthousiasme infatigable et révolutionnaire.