La Distance juste à la galerie G.-P. & N. Vallois
Scénographiée par Albertine de Galbert, spécialiste de l’art contemporain d’Amérique latine, La Distance juste fait le pari de la tendresse, un thème d’autant plus risqué que peu d’artistes ont osé l’aborder frontalement sans plonger dans le pathos ou la condescendance.
« La distance juste », Galerie G-P & N Vallois du 24 juin au 7 septembre 2013. En savoir plus Face à ce double risque, la notion de « distance juste » apparaît ainsi aussi nécessaire au sein des œuvres que dans la manière de les aborder. Parfaite illustration de cette fragilité et de cette retenue, la très sensible installation de Virginie Yassef (Sans Titre, 2012) fait léviter une demi-sphère au dessus d’un tronc. Sensuel et énigmatique, l’étrange monument installe une pesanteur bienvenue dès l’entrée de l’exposition face au faussement naïf mur de baisers de Paulina Silva Hauyón et Walter Andrade (La esquina es mi corazón).Avec une belle subtilité, La Distance juste propose un parcours où retenue et transgression cohabitent en une harmonie fragile mais indéniablement opérante. Car tout ici est question d’échelle, de mise en perspective de la réalité à travers le prisme d’un indicateur, à commencer par la pièce de Juan Fernando Herran, Posicion Horizontal et ces couches de lit enchevêtrées selon leur taille qui dessinent les lignes imaginaires d’un sommeil impossible. Seul au milieu de tous les autres cadres, le petit matelas du lit d’enfant semble inaccessible et protégé, espace sentimental aussi libre que prisonnier. C’est par la suite l’horizontalité même qui se dédouble avec la reconstitution de la performance de Martin Kersels qui découpe la pièce en lui adjoignant un second sol, perturbant de la sorte les repères et bouleversant les échelles. De même, les dessins de Henrique Oliveira, apposant à côté de chacune de ses structures organiques une silhouette presque griffonnée, rappellent avec force la fonction d’ « échelle » que joue l’être humain dans toute construction.
C’est alors dans cette mise en perspective du corps, dans la compréhension de celui-ci comme enjeu fondamental d’appréciation du monde que se révèlent les œuvres les plus poignantes de l’exposition. C’est ainsi en abolissant la distance qu’Ana Gallardo offre une expérience sensuelle et sentimentale. Prévoyant à l’origine un documentaire sur les pensionnaires d’une maison d’accueil de prostituées à la retraite, Ana Gallardo ne parvint qu’à « voler » quelques images au détour d’une balade avec l’une des pensionnaires, Estela, appareil photo au cou, filmant sans les cadrer ses propres gestes, caressant les mains de cette femme qui allait décéder quelques semaines après. Chez Pilar Albarracín, c’est à une véritable transe que l’on assiste. L’artiste, comme possédée, exécute une danse macabre avec entre ses bras une outre en peau de chèvre qui se déverse au fur et à mesure, maculant sa robe et son corps de vin rouge. Derrière son abord outrancièrement symbolique, la performance se révèle absolument captivante et sa violence autant que son énergie en font toute la beauté.
Comme en écho à la première de ses œuvres présentées dans l’exposition, Virginie Yassef explore pour finir un autre pan du corps en s’offrant, avec L’Arbre (réalisée en collaboration avec Julien Prévieux), un festin végétal. Avec voracité, les artistes croquent à pleines dents l’écorce d’un arbre, détournant la fonction essentielle de l’organisme, se nourrir, pour en faire un acte d’affirmation du corps. Probablement pas la plus attendue, mais cette brutalité jouissive, inventant sa propre pratique du plaisir et débarrassée des codes sociaux est peut-être l’une des plus belles illustrations de la tendresse.